The Changing Room (La Loge): un divertissement qui touche au plus profond de l’acte théâtral.

The Changing Room (La Loge): un divertissement qui touche au plus profond de l’acte théâtral.

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Photo: Guillaume d. Cyr

The Changing Room (texte et mise en scène d’Alexandre Fecteau,) nous ramène vers une époque révolue du théâtre québécois, où les personnages troubles de Michel Tremblay dominaient la scène montréalaise.   Hosanna et La Duchesse de Langeais avaient quelque chose de comique et de pathétique . On retrouve une ambiance semblable ici sauf qu’Alexandre Fecteau a recours à des moyens scéniques plus contemporains. Les techniques de la  téléréalité, le docudrame, le spectacle interactif, l’improvisation et le théâtre Verbatim sont des moyens efficaces pour séduire la salle et lui donner une  expérience des plus inattendues.  Des scènes merveilleuses de « lip synch », de chorégraphie burlesque accompagnée d’une musique pop, des paillettes, des plumes, des talons aiguilles, des robes flamboyantes, le maquillage, les perruques de tous les styles et toutes les couleurs, éblouissent le spectateur.

Mais alors que le côté exhibitionniste de ces artistes se laisse découvrir sur la petite scène recouverte de velours rouge kistchissime, la caméra nous livre des séances de téléréalité en suivant t les artistes dans les coulisses où elle capte de vrais échanges dans la loge des artistes, « The Changing Room » du titre. Donc, une petite scène à l’intention des danseurs et des chanteurs est placée dans un rapport frontal avec la salle, alors que la caméra nous montre, à l’écran, l’espace plus intime des coulisses où les acteurs se détendent, se déshabillent, les confidences débordent et nous dévoilent les détails de toutes sortes de cette vie de drag-queen. 

Toutefois, les choses n’en restent pas là.  Peu à peu, le spectacle creuse la manière dont ces personnages scéniques sont construits, et une réflexion sur l’identité sexuelle se dessine.  Les artistes expliquent leurs rapports complexes avec leurs personnages « scéniques » dont chacun s’inspire d’ artistes connus à Montréal. Nos acteurs ne seraient que de pauvres copies des vedettes. Mais est-ce que cela change quoi que ce soit?  Ils seraient tous essentiellement des acteurs. Ils ont tous recours à différents niveaux de jeux qui remettent en question toute semblance de réalité. Oui, l’identité est essentiellement construite par un ensemble de rapports variés entre le corps transformé par l’acte théâtral, par un jeu social, par la médecine, par les pulsions profondes, par le milieu où on habit.

Finalement, qu’il s’agisse des acteurs qui jouent des personnages inspirés de vrais drag-queen, où des femmes qui jouent des hommes en « drag »,  ou des hommes « straight » qui joue des transsexuels, ou même un vrai drag-queen qui gagne sa vie tous les jours dans ce contexte professionnel, le spectacle remet en question la notion même de « réalité »  identitaire puisqu’ils sont tous en train de se mettre en scène, de jouer afin de construire un personnage. Et pour présenter les saynètes,  une femme (Délice) qui serait « trans-sexuel », fait du « stand-up » en taquinant les politiciens, le public de toutes origines et de toutes orientations en invitant tout le monde à se défendre et à s’exprimer librement.  L’improvisation est désormais mise au service d’une forme d’expression qui invite chaque membre du public à défendre ses choix, quels qu’ils soient.

Moins réussis sont les moments sérieux qui ont lieu dans les coulisses devant la caméra où les artistes parlent de leur vie hors scène et finissent par des révélations surprenantes.

Difficile de ne pas être ému par la triste révélation de Dory, dont le corps délicat est ravagé par la maladie même si son jeu ruisselle d’un excès de pathos dans ce monde ou tout semble du théâtre pur.  Le paradoxe est étrange. Néanmoins, Le Changing Room nous apprend que, quelle que soit la manière dont les individus s’identifient, ce qui unit vraiment la race humaine est notre capacité de souffrance. Voilà un dernier moment qui nous fait réfléchir malgré toute la frénésie clinquante de ce spectacle étonnant, inattendu, et finalement fort divertissant.

Une production "Nous sommes ici au Studio" présentée au Centre national des Arts à Ottawa, 3-6 avril, 2013

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