Oléanna au Gladstone Theatre. Un rituel d’autodestruction mutuelle.
Créée en 1992 cette œuvre, de l’auteur américain David Mamet, a donné naissance à un événement scénique d’une grande importance qui, malgré son ambivalence irritante semble annoncer bien avant son temps, les conflits inspirés du mouvement ‘balance ton porc’ en Europe, (#Metoo en Amérique). On pourrait même parler d’une œuvre visionnaire qui prévoyait la rage, la fascination, la haine et la soif de vengeance, qui devaient détruire des réputations masculines quelques années plus tard, en conférant aux femmes le pouvoir de se libérer par la moindre dénonciation même si elle n’était pas toujours fondée.
La figure du producteur américain Harvey Weinstein, celui qui a exploité honteusement des femmes dans le milieu cinématographique américain devient l’arrière-plan de La pièce Oleanna. Il fut incarné dans la presse française un certain DSK qui avait aussi horrifié les lecteurs féminins ( 2013) lorsque les révélations outrageuses sur son comportement ont paru dans la presse française et américaine. On a alors compris l’étendu du phénomène dans le monde entier même si la prise de position de Mamet est difficile à suivre parce Mamet mèt en valeur l’ambiguïté des situations entre interlocuteurs masculins et féminins,
Cette production du 7h30 Theatre par l’équipe de John P. Kelly met en scène une confrontation entre une étudiante et un jeune professeur pour tester notre perception de la résolution du conflit. Ni la vraisemblance ni le réalisme psychologique ne sont en jeu ici. Il s’agit de la manière dont le dialogue mordant et rapide, évolue dans le bureau du prof où les deux s’étouffent parmi les dossiers, les livres, les papiers, obligés de faire semblant d’ écouter l’autre pour faire avancer ce dialogue féroce où le rythme sauvagement saccudé devient le phénomène porteur de sens :
L’ étudiante ne comprend pas les définitions abstraites de son professeur alors que le professeur est préoccupé par les conflits personnels avec sa femme sur l’achat d’une maison. Face à la voix de celle-ci au téléphone, le prof entend à peine les plaintes de son élève alors que les appels téléphoniques interrompent la communication, énerve l’étudiante et attise son attitude agressive lorsqu’elle croit que son professeur la manipule en aisant semblant de l’écouter. L’étudiante souffre de cette confusion langagière. La colère attisée par la troisième voix au téléphone enveniment les échanges et leur rencontre devient une confrontation qui préfigure l’horreur fasciste : l’interdiction des livres suivie d’une explosion de rage qui aurait mené à un meurtre si la pièce n’avait pas pris fin rapidement. Le choc est total et le public est tétanisé par la montée inattendue de cette violence.
L’œuvre est en fait une analyse très fine de la manière dont le pouvoir s’introduit dans une communauté à travers le langage. Oleanna qui aurait pu devenir un échange bien réfléchi entre une étudiante et son professeur, devient un rituel où les deux protagonistes se transforment en archétypes de destruction mutuelle, où chacun représente une pulsion dangereuse . Ce ne sont plus des personnages mais des pulsions mortelles qui mènent les voix parlantes à leur perte. La confusion escalade, la rapidité des réponses criminalisent le professeur, empoisonnent l’étudiante incapable d’entendre l’autre et le résultat quasi-tragique est inévitable.
En évitant un naturalisme trop évident, le metteur en scène saisit parfaitement le mouvement de l’ensemble et nous renvoie aux idées de Mamet. Celui-ci craint l’aboutissement de toute confrontation idéologique qui évacue le raisonnement et libère les pulsions les plus primaires de l’être humain. La conclusion de Mamet est à prévoir même si les confrontations évoquées ont beaucoup énervé le public au théâtre qui ne pouvait accepter sa conclusion qui a failli démontré clairement la culpabilité du professeur : Montrer les passions extrêmes pour aboutir à un équilibre aristotélicien. Mamet se remet à Aristote en nous renvoyant à la catharsis lorsqu’il nous montre qu’il faut gérer nos passions extrêmes pour assurer la justesse de tout comportement humain. Il faudrait féliciter le sang froid de la mise en scène qui a saisi le rythme saccadé des échanges et ainsi respecté cette vision de la pièce. De son côté, même si on ne partage pas les opinions de Mamet, l’auteur est un grand visionnaire qui a prévu les conséquences d’une forme de théâtre idéologique. Il a compris l’utilité d’une véritable catharsis sur le plan quotidien pour prévenir la violence fasciste dans le monde. Une étrange cérémonie !
Mise en scène de John Kelly de 7h30 productions, Gladstone Theatre, Ottawa Canada Mise en scène de John P. Kelly 7h30 Production, Gladstone théâtre, Ottawa Canada
Mise