Visage de feu au Périscope: flambée onirique

Visage de feu au Périscope: flambée onirique

Réjean Vallée (le père), Joanie Thomas (Olga), André Robillard (Kurt) et Diane Losier (la mère) dans Visage de feu. Photo by Gilles Landry
Réjean Vallée (le père), Joanie Thomas (Olga), André Robillard (Kurt) et Diane Losier (la mère) dans Visage de feu.
Photo by Gilles Landry

Critique par  Joanne Desloges.

(Québec) Montée en 1999 par Thomas Ostermeier, qui signait le mémorable Un ennemi du peuple au plus récent Carrefour international de théâtre de Québec, la pièce Visage de feu a été traduite et modelée par le Théâtre Blanc, qui nous offre une adaptation québécoise qui s’annonce aussi surréelle que percutante.

L’objet théâtral est entre les mains de Joël Beddows depuis quelques années déjà. Le metteur en scène et directeur du Département de théâtre à l’Université d’Ottawa a accroché autant sur la forme que sur le fond du texte de l’Allemand Marius von Mayenburg, auteur, dramaturge et traducteur depuis près de 15 ans pour la Schaubühne, compagnie dirigée par Thomas Ostermeier à Berlin.

Visage de feu relate l’éclatement d’une cellule familiale, mais aussi d’une société post-industrielle où la famille, le temps, l’espace individuel sont en mutation. Deux adolescents, Olga et Kurt, un frère et une soeur, se révoltent contre la cage dorée aux barreaux extensibles où leurs parents, surtout leur père, les maintiennent depuis l’enfance.

«Ce n’est pas une famille qui existe dans une logique d’amour, mais dans une logique de domination et d’affranchissement malsain des parents. Ce sont des enfants-rois à qui les parents ne disent jamais non», résume Joël Beddows, qui trouve une certaine résonance entre les réflexions des adolescents de la pièce et ses étudiants. «Les notions de base de l’adulte émergent, le respect aux aînés et à l’autorité, ils ont un rapport très approximatif à tout ça», remarque-t-il.

En l’absence de repères, le personnage de Kurt se tourne vers la philosophie antique, plus précisément vers les écrits d’Héraclite, dont il fait un dogme. Ce nouveau code moral teinté d’extrémisme est toutefois un substitut dangereux, qui va le mener à la destruction.
Sa soeur Olga, elle, veut que ça bouge, que ça change. «Elle cherche l’effet. L’effet d’avoir un chum avec une moto, l’effet du buzz, des drogues, mais c’est en dominant les autres qu’elle aura le sentiment le plus fort», indique le metteur en scène, à qui la conception de la famille de von Mayenburg rappelle par moments Daniel Danis.

Lente construction

Le drame se construit lentement, presque à l’insu du spectateur, qui peut se laisser berner par l’apparente banalité des gestes et des comportements des protagonistes. «C’est très vraisemblable, ce qui fait en sorte que les conséquences désastreuses de ces gestes sont encore plus étonnantes, voire traumatisantes», raconte Beddows, qui cherche toujours le coup de coeur et le coup de poing lorsqu’il envisage de porter un texte à la scène.
«J’ai été happé par Visage de feu parce que le sentiment du temps y est très particulier. Souvent, les scènes sont très courtes, n’ont ni début ni fin, comme une série de flashs», décrit-il. L’adaptation canadienne compte environ 25 % moins de mots que l’adaptation française.

Mais sous des apparences poétiques et minimalistes, le texte porte une violence fulgurante. «Les personnages sont d’une cruauté extraordinaire. C’est une fine construction, une dramaturgie de dentelle.»

Nous sommes quelque part entre le rêve et la réalité, ou plutôt les réalités. Les visions de Kurt, d’Olga et de la mère se confrontent sans cesse dans des soliloques. Seul le père ne plonge pas dans l’introspection, «parce qu’il constate l’ampleur de la situation à la fin, mais trop tard», note Beddows.

Depuis la lecture présentée au Carrefour de théâtre en mai, la pièce a énormément bougé, assure-t-il. Le personnage de la mère, entre autres, une femme au foyer qui fait des pieds et des mains pour éviter le drame, a gagné en profondeur. «Ce texte est réellement une énigme. Savoir qui fait quoi et qui pense quoi à quel moment… Notre travail a souvent été de laisser les questions planer», souligne le metteur en scène.

La scénographie est signée par Jean Hazel, inclus dans le projet dès ces balbutiements. «On a voulu travailler le non-organique, en introduisant un vert pomme presque radioactif, pour exprimer que l’homme pense avoir dépassé son besoin du naturel. Il vit dans un monde qu’il a conçu et créé lui-même. La pièce montre que malgré cette impression de perfection, le chaos s’installe malgré nous», analyse Beddows, particulièrement inspiré par le travail du sculpteur Sol LeWitt. Celui-ci était justement à l’honneur au Musée d’art contemporain de Berlin lorsque le Centre national des arts d’Ottawa l’a envoyé à Berlin pour un stage de formation à la Schaubühne, au printemps 2011.

Lorsqu’il a vu la maquette réalisée par Hazel, Beddows a tout de suite pensé à la musique du compositeur américain Phillip Glass. «Il y a des couches possibles de sens qui se redéfinissent à tout moment sous les yeux des spectateurs», illustre-t-il.

Visage de feu est une coproduction du Théâtre Blanc, du théâtre de l’Escaouette et du théâtre français du Centre national des arts d’Ottawa, et a été présenté à Moncton et à Ottawa avant de passer par Québec.

À l’affiche
Titre : Visage de feu
Texte : Marius von Mayenburg
Mise en scène : Joël Beddows
Interprètes : Diane Losier, Lucien Ratio, André Robillard, Joanie Thomas et Réjean Vallée
Salle : Périscope
Dates : du 6 au 23 novembre
Synopsis : Deux adolescents, un frère et une soeur, se révoltent et se distancient de leurs parents. Olga cherche l’explosion qui la métamorphosera, alors que Kurt se radicalise et que des incendies se mettent à dévaster la petite ville.

 

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