UN : texte, mise en scène et interprétation de Mani Soleymanlou. Une orchestration rafraîchissante de l’indentité du monde.
Mani Soleymanlou. Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse
Pour ce monologue autobiographique, aucun décor sinon des rangées de chaises vides, alignées sur la scène. Le comédien, assis tout seul, s’adresse au public et l’invite à rompre un tabou sacré de la représentation actuelle: «Gardez votre mobile allumé! Et parlez quand vous voulez. » Dès le départ, il se met en scène dans le rire et un chaos des plus joyeux, et pourtant le contenu du spectacle reste toujours sérieux, même empreint d’auto-dérision. l’acteur/auteur/personnage explique qu’il veut nous montrer sa trajectoire de vie depuis son départ de Téhéran en tant qu’enfant.
Toutefois, l’essentiel de son propos se résume à la fin de la soirée, par un délire verbal en trois langues (anglais, français et parsi). Les paroles se fondent les unes dans les autres pour devenir une étrange bouillie incompréhensible. On reconnaît rapidement la signification globale de ce bruitage qui efface toutes les frontières linguistiques, géographiques et culturelles. Ainsi, sans explications complexes, ce Torontois-« Arabe » -Québécois –Iranien qui a passé aussi par Ottawa et par Paris pour finir à Montréal, ou il a mis du temps pour s’adapter, termine la soirée en nous faisant cadeau de la véritable nature de son identité québécoise, dont il a été question tout au long du spectacle. Incapable de nous expliquer qui est ce « moi » qui ne connaît même plus son pays d’origine, puisque les sources de son identité sont de plus en plus floues sans disparaître complètement, il nous fait comprendre que cette masse de traces auditives constitue une métaphore scénique la plus juste et la plus vraie de l’identité individuelle puisque la « pureté » n’existe plus. « Un » est le rassemblement complexe de la diversité qui nous définit tous.
L’acteur passe les premières minutes à régler l’éclairage, à jouer le metteur en scène, à prendre possession de la salle et du public, avant d’ouvrir cette mise en abyme qui fouille la mémoire et nous plonge dans le passé a l’aide des éclairages magiques, de la musique nostalgique et des bruits d’avion. Il révèle son don de conteur, de stand-up et surtout son profond sens de dérision qui vise tout le monde, tous les régimes, tous les individus, y compris lui-même.
On suit les péripéties de sa famille, les retours au pays pendant les vacances, l’histoire des origines de la culture perse racontées par un acteur qui se transforme en marionnette de théâtre d’ombres, un beau moment de théâtre visuel. Il nous livre ses impressions de l’histoire contemporaine des régimes islamistes depuis le départ du Shah, assortis des commentaires sur la vie quotidienne des jeunes, sur la politique des régimes iraniens actuels. Le récit coule librement presque avec l’aisance d’une bande dessinée et on pense par moments à Persepolis, le roman autobiographique de la jeune Marjane Satrapi.
L’humour est thérapeutique, incisif, démocratique, sa vision du monde est d’une grande ouverture, et son refus d’être emprisonné par des définitions toutes faites est rafraîchissant. Dans le monde de « Un », tout évolue, tout s’adapte, tout est constamment en état de flux et tout commence par ce jeune barbu pétillant d’énergie, qui rejette tous les stéréotypes et finit par nous offrir, par le théâtre, la meilleure définition de notre identité humaine qu’on puisse imaginer.
Au Centre national des Arts, Ottawa, 5 au 8 mars, 2004. Au Tarmac (Paris) du 18 au 28 Mars 2014
Un, texte, mis en scène et interprété par Mani Soleymanlou, une coproduction de la Cie Orange Noyée et La Chapelle (Montréal).