Turcaret ou le financier: Une premiere mondiale en anglais qui laisse à désirer malgré sa grande qualité artistique
Photo: Barb Gray (Capital Critics Circle)
Le Financier (Turcaret ou le financier) d’Alain-René Lesage, mise en scène de Laurie Steven, adaptation en anglais de Laurie Steven et de Joanne Miller. .
Cette première mondiale d’une adaptation canadienne an anglais de Turcaret, le Financier d’après le texte de Lesage, a été réalisée à l’intention des acteurs masqués de la Commedia dell’arte. Malgré les costumes d’époque d’une beauté extraordinaire, les masques d’une grande qualité artistique, la chorégraphie délicate de l’ensemble et un décor d’une grande sensualité qui s’inspire des tableaux de François Boucher, le résultat laisse beaucoup à désirer.
Cette œuvre comique en prose qui date de 1709, est aussi le portrait cruel d’un stéréotype le plus vil de l’époque en France, selon Lesage : « l’usurier le plus juif: il vend son argent au poids de l’or ». Et voilà Lesage qui fait une œuvre comique en se moquant à la fois de l’esprit d’avarice qui domine les personnages mais surtout, l’auteur se défoule sur Turcaret, la figure emblématique de cet esprit stéréotypé de l’époque dont les types de la Commedia semblent convenir. Entouré d’une bande de fourbes qui font tout pour le tromper, le trahir, le ridiculiser et le dépouiller de ses biens, Turcaret devient le plus détestable des hommes et tous les moyens sont bons pour le ruiner, car l’usurier mériterait tout le mal qui lui arrive. La Baronne dont il est amoureux peut bien le tromper, mais plus grave est le fait que Le Financier lui cache l’existence de sa femme légitime, ou qu’il organise des prêts d’argent avec des personnages de réputation douteuse (D’ailleurs, le jeu de Vole et Ratsa, interprété par le même comédien, est d’une grande subtilité comique ). Pour toutes ces raisons, Turcaret mériterait la punition la plus grave qui fait crouler son petit monde bâti sur des mensonges et sur la soif d’argent. Nous voyons alors la belle maison de la Baronne, qui tire tout son argent des cadeaux reçus de son amant, littéralement voler en éclats! Et voilà que Frontin, le valet de Turcaret, finit par mettre la main sur la fortune de son maître pour continuer ses machinations. Toutefois, le triomphe du valet annonce la chute de l’usurier, non pas le début des conflits de classe, Lesage n’étant pas Beaumarchais et la Révolution française étant encore loin.
L’irruption de la Commedia dans la pièce de Lesage, est amusante, belle et divertissante surtout lors de la deuxième partie de la pièce mais les personnages sont dépouillés de leur côté cruel puisque le visage masqué déplace le jeu sur le corps et élimine toutes les nuances humaines inscrites dans le texte. Ceci affaiblit la sauvagerie de la situation et puisque la pièce souffre déjà d’une structure dramatique peu développée, tout repose sur les personnages, leur manière de théâtraliser leur fourberie, leur cruauté, leur tricherie. Les conventions de la Commedia ont permis la mise en relief d’une belle chorégraphie qui coule, mais puisqu’ils ont raffiné le style, enlevé la vulgarité et ramené les personnages types dans les boudoirs loin de la foire populaire, la première partie de la pièce surtout devient fade voire monotone. En fin de compte, la gestualité de ces corps masqués n’arrive pas à transmettre la méchanceté qui sous-tend ces dialogues percutants. Les valets ne sont que des gentils manipulateurs, le chevalier est un beau gosse qui séduit la Baronne, les jeux sont tous dilués sauf celui de Lisette, la femme de chambre de la Baronne. Cette comédienne suinte la méchanceté et la passion pour l’argent de tous les pores jusqu’à ce qu’on la croie capable de n’importe quoi pour arriver à ses fins. Par la suite, les choses s’arrangent un peu grâce à l’action qui se corse pendant des derniers moments. En plus, le jeu de Turcaret s’éveille et on le voit pris de panique alors que son monde s’écroule autour de lui. Il faut reconnaître que cette équipe de bons acteurs maîtrise la technique de la Commedia, une prouesse exceptionnelle de la scène canadienne, mais il est évident que cette adaptation scénique a édulcoré la cruauté de Lesage et certainement trahi l’original, sans vraiment lui apporter de nouveau sens qui rehausse l’intérêt de la pièce. Une soirée amusante, techniquement réussie, mais rien de plus.
Compagnie Odyssey sous les étoiles, Théâtre d’été à Ottawa. 24 juillet au 24 a août, 2014. Publié sur le site theatredublog.unblog.fr