À toi pour toujours ta Marie-Lou: une belle production qui confirme toute la modernité de Tremblay.
A toi pour toujours ta MarieLou
Richard Bénard en gros plan.
À toi pour toujours ta Marie-Lou de Michel Tremblay, actuellement au Théâtre de l’île à Gatineau (Québec) est un petit chef-d’œuvre de mise en scène. Ce quatuor de voix, les deux filles (Carmen et Manon) et les parents (Léopold et Marie-Louise), mènent simultanément deux dialogues parallèles, dans deux espaces/temps différents où le décor symbolise le drame qui a déchiré cette famille par le passé, et continue à la ruiner. Marquée par les éclairages ingénieux et un paysage sonore puissant qui nous transporte bien bien au-delà de la réalité québécoise, cette représentation cerne un paysage cauchemardesque où tous les personnages arrivent sur le plateau comme des revenants, baignés d’une lumière bleuâtre d’outre-tombe, avant de s’installer dans leurs fauteuils où ils seront relégués pendant tout le spectacle.
Dans un espace surélevé, les deux filles racontent leurs propres souvenirs, ce qu’ils ont cru apercevoir et entendre derrière les portes de la chambre à coucher des parents. Parallèlement, les deux époux sont enfoncés dans leur propre espace rempli de bouteilles sales et de terre en pleine putréfaction, où, dix ans auparavant, ils crachaient leur haine, leurs frustration et la misère sexuelle qui ont empoisonnée leur vie de couple, peu avant leur mort dans un accident de voiture. Deux perspectives temporelles de cette famille d’horreur se croisent donc, et se complètent alors que, par moments, des éclairs de lumière violents, déclenchent des coups sonores qui secouent la scène et ramènent les deux jeunes vers le passé des parents où ceux-ci ne cessent de s’affronter. Les deux sœurs témoins horrifiés de la haine et la violence verbale que les parents se font subir mutuellement, révèlent jusqu’à quel point ces confrontations ont laissé des traces profondes sur leur existence. Les sons d’un violoncelle évoquent une ambiance lugubre que viennent compléter les coups forts d’une musique électronique qui secouent ces revenants et transportent les sœurs entre un passé traumatique et une actualité hanté par la mort. Il est évident que la metteure en scène a compris l’importance du paysage sonore et a exploité toutes ces possibilités d’une manière très efficace.
La plupart du temps, le jeu était d’une très grande justesse surtout puisqu’on sait que les parents, sont de grands habitués du théâtre comique. Ils s’en sont bien tirés malgré tout. Richard Bénard (Léopold) surtout a réussi à cerner tout le pathétique de cette figure paternelle qui hurle sa frustration, qui s’effondre dans son impuissance, qui suinte son malheur au point où nous sentons l’odeur même de sa colère. Marie-Louise (Chantal Richer), victime de cette société qui interdit le plaisir et méprise le corps, incarne la femme blessée rongée par sa honte et son amertume devant cet homme qui ne cesse de la « violenter ». Toutefois, lorsque le personnage saisissait les occasions de se moquer de son mari, le côté comique prend parfois le dessus au point où on se demande si la comédienne était vraiment convaincue qu’il fallait provoquer les rires aux moments les plus cruels de leurs échanges. Une direction d’acteurs un peu relâchée y était certainement pour quelque chose. Par d’autres moments toutefois, la comédienne était tout à fait bouleversante, lorsqu’elle incarnait la femme humiliée, enfoncée dans son fauteuil en train de tricoter obsessivement, le visage blême, les yeux remplis de larmes, le corps fanés. C’est alors qu’elle captait la peine d’une situation intenable où la mort lui est venue comme une forme de délivrance. Curieusement, cette vision scénique saisit des rapports de complicité entre les filles et les parents, rapports qui changent selon les moment les plus tendus ,ou le jeu et les physionomies reflètent malgré tout les similarités quasi génétiques entre les personnages.
Manon, la fille religieuse, jouée par Frédérique Thérien était aussi tout à fait convaincante et émouvante malgré ce personnage stéréotypé qu’on retrouve partout dans l’œuvre de Tremblay. Il faut dire que ces personnages constituent les présences fondatrices de l’arbre généalogique de là la grande famille de Tremblay qui dominent la scène québécoise depuis les années 1960. Carmen, n’était pas toujours facile à comprendre étant donné un problème d’articulation et une voix qui manquait de puissance. Toutefois son langage corporel était excellent. Sa manière de bouger, son insouciance apparente, son sourire moqueur, tout concordait pour révéler la présence d’une jeune femme qui a su survivre sans exagérer le clinquant habituel du personnage.
A toi pour toujours ta Marie-Lou est le texte le plus important de l’œuvre dramaturgique de Tremblay, autant du point de vue de la forme scénique que du point de vue du contenu socio-culturel puisqu’il capte l’horreur de cette société qui, l’église à l’appui, enfonce les habitants dans une ignorance destructrice où les rapports d’amour et de haine mènent une coexistence malaisée.
Une production extrêmement perspicace, moderne et émouvante qu’il ne faut manquer.
A toi pour toujours ta Marie-Lou de Michel Tremblay
Mise en scène : Kira Ehlers
Scénographie : Julie Giroux
Costumes Mylène Ménard
Environnement sonore; Mathieu Charrette
Distribution :
Léopold : Richard Bénard
Marie-Lou : Chantal Richer
Carmen : Jasmine Delage
Manon : Frédérique Thérien
Une production du Théâtre de L’île