Théâtre Caraibe Le Répertoire: Manifeste de Jean-Michel Martial
Théâtre Caraïbe Le Répertoire.
Manifeste et Présentation du projet de Jean-Michel Martial
Lorsque je me suis lancé dans la création du répertoire des oeuvres majeures du théâtre de la zone Caraïbe, j’étais loin d’imaginer la portée réelle de l’action que j’allais entreprendre et les implications qui allaient en découler. Je répondais simplement à une force qui agissait en moi. Elle mûrissait, se précisait, m’envahissait, s’imposait , devenait pensée, verbe, action. Elle répondait à une logique simple et implacable. Il y avait, concernant « le théâtre de la Caraïbe », un manque à combler et j’allais m’y atteler. Il s’agissait de réunir les œuvres majeures du théâtre de la région Caraïbe et de les faire connaître. Pour le reste, je veux dire, la mise à disposition de ces textes, de ces pièces, la rencontre avec le public et les spectateurs, ce n’était qu’une question d’organisation , de temps et de détermination.
Nous étions alors en en 2007. Aujourd’hui les enjeux qui donnent à ce projet sa réelle dimension culturelle m’apparaissent clairement.
Héritage de notre histoire contemporaine, les œuvres théâtrales de la zone Caraïbe sont trop souvent éparses et éloignées de la grande diffusion. Pourtant, la saveur et l’incomparable beauté du meilleur de la créativité Caribéenne, lorsqu’il est question de théâtre, pulvérisent les cloisonnements d’hier et offrent au monde une riche expression de nos imaginaires.
C’est à l’enthousiasme des personnes réunis autour de ce projet que j’ai pu mesurer combien ce projet était attendu. Notre désir est faire exister le concept de « Théâtre de la Caraïbe ».
Je propose de réunir les pièces de notre collection, de les produire et les diffuser; d’offrir des renseignements, des analyses de fond sur les œuvres de ce théâtre. Il m’est apparu essentiel que donner au monde à connaître notre théâtre, participerait à la construction et à la reconquête de notre confiance en nous-même.
Me revient une anecdote; c’était il y a presque quinze années, je me trouvais en France, en banlieue parisienne, au Centre Dramatique Régional de Cergy-Pontoise. Je ne sais plus par quelle succession de hasards je m’étais trouvé là, mais nous étions quelques-uns, ce jour-là, à écouter. Professeurs de théâtre, conseillers culturels, représentants du ministère de la Culture, tous débattaient. Ils évoquaient le théâtre des Antilles et de la Caraïbe. Des points de vue étaient échangés, partagés, analysés. Oui ils débattaient en toute bonne foi, de la culture et du théâtre de chez moi.
Il me reste de ces propos que le théâtre des Antilles avait été défini comme un théâtre qui devait mêler des textes, des chants et de la danse.
Je me sentais douloureusement outragé, étranger et exclu de moi-même et exclu à moi-même. Un hurlement muet déchirait mes entrailles; comme une révélation, il s’exprimait mon opposition à la persistance de l’omniniant-crachat » du poète. Un homme s’était levé, il avait pris parole, les larmes aux yeux il disait non! Non! non ça suffit…Ses larmes trop longtemps ravalées étaient les miennes, son cri était le mien, sa douleur était mienne. Le souvenir de ce refus éprouvé jusqu’à la nausée , me renseigne encore sur le mal dont souffrais. « On » parlait à ma place. On, on, on….ce « on » me définissait et me réduisait à une vision fausse qui me restreignait et me cadenassait.
Non!
L’idée du répertoire est née ce jour-là, dans le refus d’une image fausse et dans le nécessité de ma propre expression. Désormais je ne me contentai d’absorber, de lire et de jouer exclusivement le théâtre des autres. Il me fallut aussi être et vivre mon théâtre, celui qui se terrait au plus profond de moi et qu’on ne connaîtrait jamais si moi-même je ne l’accueillais pas. Il me revient aussi de ce texte de Lynch qui prévoyait une aliénation d’au moins trois siècles aux esclaves qui seraient soumis à la méthode qu’il avait mise au point et qu’il appliquait déjà dans la plantation….
Or, il est manifeste que le théâtre de chez moi existe, sans que nulle chante ou danse ne soit obligatoire. Danse et chante ont un sens particulier qui ne doit être galvaudé ou limité par l’incapacité que l’autre aurait de me définir dans ma globalité et comprendre la dignité de mes codes et de mes valeurs. Nous voici dans le domaine du sacré et c’est de cela qu’il est question. L’homme se doit de chercher au plus profond l’essence de son être pour en faire don à l’humanité.
Un jour, au Bénin, un maître féticheur me disait, « on a pris des choses à l’Afrique, mais aujourd’hui c’est l’Afrique qui a décidé de donner… ». De la même manière, Le Répertoire est une main ouverte tendue vers l’autre, dans le respect de notre grandeur et dans l’absolue nécessité de la voire exprimée. Le verbe Caraïbe c’est l’histoire d’une rencontre, le silence, la cadence, le rythme, le son, le « ka », le verbe, l’émotion, l’image, le vent, la nature, la mémoire, l’histoire, la vie à l’aune de notre « inspire ».
Si Césaire me grandit, Damas lui, me porte et parle, directement. C’est lui qui me soutient, c’est encore lui qui guide les mots dans cette entreprise que je lui dédie lorsque j’entreprends de donner vie, par tous les moyens, à ce répertoire.
Telles sont les idées qui ont présidé à la naissance de cet ouvrage.
En cette période de réhabilitation des imaginaires, ce projet patrimonial offre au monde la réalité de notre univers esthétique par le verbe, le rythme et la forme en utilisant le théâtre comme ambassadeur.
Cette nouvelle manière de s’offrir par le théâtre interposé participe au décloisonnement de notre espace géographique, transcende les barrières culturelles et recrée le lien naturel entre les populations appartenant à des groupes linguistiques souvent différents.
La portée hautement culturelle de ce projet s’est traduite par l’intérêt et le soutien renouvelés du ministère de la culture de la région Guadeloupe, de la région Martinique, du secrétariat de l’Outre-mer et autres structures de tutelle. Dès le début de nos travaux, nous avons reçu l’appui du Centre d’Études et de recherches caribéennes (CERC) de l’Université des Antilles-Guyane. De nombreux spécialistes internationaux nous ont rejoints , dont Vivian Martinez et Jaime Gomez de la Casa de las Americas à Cuba; Roberto Ramos Perrea, directeur des archives théâtrales de l’Ateneo à Puerto Rico; Rawle Gibbons de Trinidad, Travis Weekes de Sainte-Lucie, Michel Reckord, Jean Small and Honor Ford Smith de la Jamaïque. L’occasion m’est ici donnée de les remercier tous pour leur confiance, leur implication et leur soutien. La valeur de ce document dépend en tout point de la grande qualité de leur participation. Je pense également à celles et à ceux qui à un moment sont intervenus, soulignant un point précis, une exactitude, un risque. Toutes vos observations ont abouti au chemin que nous avons défini ensemble et qui a permis la réalisation du « Répertoire ».
Dans un premier temps il s’agissait
- De répertorier les pièces de toute la région
- De présélectionner les meilleures œuvres écrites, produites ou publiées.
- De mettre en place une équipe de rédacteurs spécialistes du théâtre. Ils devaient évaluer chacun de ces textes retenus parmi les pièces présélectionnées (une soixantaine) et rédiger une fiche de travail sur chaque œuvre traitée.
- De mettre en place un jury chargé d’identifier les meilleurs œuvres à partir des listes de pièces présélectionnées de manière à établir la première version du répertoire.
- De préparer la publication de ces textes sélectionnés avec mises en contexte analytique.
- De mettre en place un système de financement qui assure la pérennité des productions.
- De poser les bases de la diffusion de ces pièces.
Très rapidement , un nombre important de pièces nous fut donné, devaient-elles être éditées, avoir été jouées? Un choix était à faire. Une question me dérangeait et il m’était difficile, voire impossible d’y répondre. Sur quels critères allions-nous choisir les pièces? Le sérieux ces chercheurs de l’université Antilles-Guyane (devenu plus récemment des Antilles),trouvait un échos chez toutes les personnes sollicitées et les mises en garde n’étaient pas veines. Une approche rigoureuse demandait des critères précis. Aujourd’hui, tout me porte à penser que le secret de toute sélection résulterait d’un savant dosage de l’objectif et du subjectif.
La Solution
Il est évident que nous devions prendre en considération les thèmes et les problématiques abordés, les particularités et les réalités socio-politiques des propos, les auteurs, la production ambiante, la période où les pièces ont été écrites. De plus, il convenait de donner toute sa place à la forme. Cela aura-t-il été suffisant? Ces critères fussent-ils mieux définis et appréciés , nous garantissaient-ils contre l’oubli de quelque texte fort? La diversité des conditions de créations devait-elle entrer en ligne de compte? Les traditions d’écritures fortement liées à l’histoire et à l’influence du colonisateur nous mettaient-elles dans l’impossibilité de justifier un choix de sélection devant des auteurs d’origines linguistiques différentes?
La particularité d’un auteur réside souvent en sa manière de résister aux évènements, à les traduire en histoires. La création elle-même s’envisage-t-elle au-delà de ses propres conditions de création. Elles ne seraient donc pas à prendre en compte? Cette tendance nous conduirait à donner un sens moral à l’écriture. Non, la pensée comme l’écrit doivent rester libre et surtout s’affranchir de toute posture misérabiliste qui tendrait à honorer un texte sous prétexte qu’il serait né des souffrances de tel ou tel auteur.
Pour autant, certains textes sont emblématiques et à ce titre occupent une place particulière dans l’histoire du théâtre. Certains autres ouvrent la porte à des courants d’écriture,, ainsi les œuvres en créole, elles ont marqué la dramaturgie de leur pays par le renouvellement du genre.
Tout ceci participa de l’immense difficulté de définir des critères précis qui seraient valables pour tous.
Je relate ici un courrier d’un rédacteur et il situe parfaitement la problématique rencontrée.
L’originalité de notre propos est donc de devancer l’histoire et le temps. Eux seuls en vérité sépareront le bon grain de l’ivraie et garderont présents aux mémoires certains textes plus tôt que d’autres. L’histoire seule est infaillible. Elle « est » et cela lui suffit.
Notre sélection pistera l’espace et l’expression de la transcendance des faits à travers le verbe, dans la force et la fragilité de l’art lorsqu’il se veut vivant. Cette sélection de textes dira la beauté et l’originalité de la pensée africaine lorsqu’elle rencontre la pensée occidentale. Elle dira la richesse de l’Indicible et de l’innommé.
Comme le « silence juste avant la musique », il est l’acceptation du vide, plus encore, il est la plongée vers l’inconnu comme dans une source sans fin, profonde de mille destinées, pleine de notre refus à laisser ce monde évoluer sans la force de notre cri.
C’est avec respect et l’humilité que nous avons approché les textes, la douleur et compassion nous habitaient lorsque nous en avons écarté d’autres. Ces choix étaient tout aussi nécessaires que l’appel du monde à rencontrer l’esprit Caraïbe à travers les textes de ses auteurs d’hier et d’aujourd’hui et de demain puisque vous aurez à enrichir cette collection d’œuvres qui résonneront en vous jusqu’à ce que s’allume le désir de porter encore plus loin la torche de l’expression Caraïbe, de réunir des archives, de les organiser, de trouver les manuscrits, d’accompagner les universités dans l’approche de l’étude théâtrale et de la réflexion théorique.
Nous savons que nombre d’excellents auteurs n’ont pu être retenus, certains ont pu se sentir blessés, voire trahis. A ceux-là je dis que la force de la reconnaissance, même si elle est légitime ne précèdera jamais celle de l’archétype. Au contraire, en cette occasion , leur œuvre est, aujourd’hui encore, le fil invisible mais au combien présent qui donne sa force au Répertoire. Et rien n’empêchera jamais leur plume de faire des enfants aux langues françaises, espagnoles, anglaises et créoles, des enfants qui sentiront le poivre et le piment de Cayenne et nous sourirons avec eux lorsqu’ils embrasseront l’Azur.