Richard III de Brigitte Haentjens. : Une créature archaïque qui émerge des bas-fonds de l’humanité.
Photos du Théâtre du nouveau monde.
Brigitte Haentjens, l’actuelle directrice artistique du Théâtre français au Centre national des Arts à Ottawa, produit, depuis fort longtemps, une esthétique de la souffrance en puisant dans des consciences troublées. Depuis 1999, elle accompagne l’immigrant de Koltès (la Nuit juste avant les forêts) attaché à la voie ferrée hurlant son désespoir et sa solitude. Elle offre la scène à Malina, personnage d’Ingeborg Bachmann, hanté par le cauchemar d’un père, ancien Nazi, qui chercherait à exterminer sa fille dans la chambre à gaz. Elle suit la descente vers la mort de la poétesse Sylvia Plath (The Bell Jar), hantée par l’image d’un père qui alimente son impulsion suicidaire, sans oublier le calvaire d’Ian (Blasted de Sarah Kane) au moment de la guerre en Yougoslavie.
Pour la première fois, Haentjens aborde Shakespeare. Son choix de Richard III correspond à cette galerie de portraits sauf que, par un renversement inattendu, son protagoniste qui surgit de l’adaptation musclée du Québécois Jean-Marc Dalpé, inflige la souffrance aux autres et en jouit avec un plaisir extrêmement cruel. Sébastien Ricard incarne ce corps « si lamentable », une représentation archaïque du mal moyenâgeux, un extérieur « révoltant » qui signifie l’horreur intérieur. En effet, Ricard, se transforme en bête féroce rugissant et sa cruauté s’exprime surtout lors de ses rencontres de « séduction » auprès de Lady Anne Warwick, et de la Reine Elizabeth après avoir tué leurs proches. Réduit à son état de bestialité la plus absolue, il rampe comme un serpent autour de sa victime, glisse sur le dos de la femme, tourne autour de son torse, lui tire les cheveux, lui saisit le cou, glisse vers le bas et, s’accrochant à ses cuisses, finit par la mordre et la rejeter au sol, avec un hurlement de victoire, surtout lorsqu’il lâche la reine humiliée devant ses soldats. Sa tentative de séduction de la reine Elizabeth, jouée par Sylvie Drapeau, était son moment de victoire. Avec la jambe déformée, le pied tordu, le bras quasi paralysé, le dos bossu, la tête presque à la renverse, on aurait dit une énorme lézarde qui s’apprêtait à avaler sa proie. L’horreur était à son comble
Par-dessus des volumes scéniques étendus à travers le fond du plateau comme des remparts d’un château, ou des ruines d’un paysage démoli par la guerre, un éclairage d’une grande pureté fait ressortir les silhouettes des comédiens qui surgissent des bas-fonds d’un monde archaïque. Les costumes mythiques d’Yso et la scénographie d’Anick La Bissonnière se marient merveilleusement à ce paysage issu des profondeurs d’une conscience tourmentée. Des éléments sonores vibrent, grondent et évoquent des présences effrayantes alors qu’une toile de fond baignée de couleurs brillantes reflète les changements du ciel. L’éclairage d’Étienne Boucher est superbe. Le jeu ritualisé des soldats, et celui des nobles de la cour sont extrêmement puissants surtout au moment où les silhouettes masquées, dorées, émergent des ruines éclairées pour annoncer le combat .
Voilà où Haentjens, avec un clin d’œil à Mnouchkine, impose une chorégraphie raffinée qui fait tourner les ensembles humains, et emporte Richard dans un tourbillon de rage. Des têtes de minotaures, des moments qui évoquent les tragédies de Sophocle , les horreurs de Sénèque, le monde des tragédies néoclassique françaises, voire les paysages de Bergman où la silhouette du bourreau traverse l’horizon et tranche les têtes invisibles pour signifier l’omniprésence de la mort. .
Les scènes comiques, ne manquaient pas. Elles étaient mises en évidence par les acteurs parlant le joual et des moments de mime, comme le jeu avec le sac ensanglanté que les soldats tapotaient et passaient entre eux pour nous faire rigoler…Tout cela paraissait un peu gros mais dans ce paysage jonché de cadavres la référence n’étaient pas inappropriée.
Il est vrai que le dernier cri désespéré de Richard au moment où il est vaincu par le duc de Richmond, « Mon royaume pour un cheval », était noyé dans le bruit de la bataille. Haentjens a clairement privilégié la chorégraphie collective dont la sauvagerie est exacerbée par la dernière rencontre entre Richard et le duc de Richmond où Richmond saute comme un cheval et se lance contre le corps du roi comme une bête sauvage en rut qui affirme son supériorité mâle devant la tribu. Ce dernier moment incarne la rage et la violence fondamentale de ces nobles qui se vengent d’un homme détesté – une confrontation physique et visuelle qui se fait, très clairement, au détriment du texte de Shakespeare en effaçant les nuances psychologiques mais un choix esthétique soutenu par une vision d’ensemble magnifique pour laquelle une invitation au Festival d’ Avignon, serait méritée.
Une création de Productions Sibyllines, en collaboration avec le Théâtre français du CNA et le Théâtre du nouveau monde
Richard III de William Shakespeare, Traduction et adaptation de Jean-Marc Dalpé
Mise en scène de Brigitte Haentjens
Scénographie Annick La Bissonnière
Costumes Yso
Musique Bernard Falaise
Lumière Étienne Boucher
Maquillage et coiffures Angelo Barsetti
Distribution :
Richard III, Sébastien Ricard
Lady Anne Sophie Desmarais
Reine Elisabeth Sylvie Drapeau