Parfois le vide : Jean-Luc Raharimanana refait le monde.
Après une première lecture de son poème Parfois le vide en Avignon (juillet 2016), suivie d’une nouvelle étape de ce « processus de travail » poético-scénique , réalisée au Centre Wallonie-Bruxelles (Paris, 2016) accompagnée de Géraldine Keller (voix, chant, flûte) , Tao Ravao (cordes) et Jean-Christophe Feldhandler (cymbales et percussions) , Jean-Luc Raharimanana, poète, auteur , metteur en scène, chantre malgache de ce « putain de mondialisation », continue ses recherches sur les plateaux du Théâtre d’Ivry et du Tarmac (2018). Son spectacle le plus récent est un quintette de voix, humaines et musicales. Celles-ci passant des tonalités les plus aigües aux cordes les plus sombres, portent l’auteur-acteur au comble de l’expression d’une « rage bestiale »!
Les descriptions des souffrances vécues lors des confrontations coloniales, dans le contexte d’une seule œuvre grâce aux paroles proférées par le poète -narrateur torturé, émergent de la matière extralinguistique évoquée par les sonorités musicales, les descriptions d’une violence insupportables (voir la bataille des sagaies, 47), des réflexions sur la ‘vertigineuse obscénité’ de l’histoire de son pays saigné à mort par les génocides. Le mouvement poético-corporel aboutit à un ras-le-bol définitif d’un inconscient vidé, épuisé. Voilà les « ruines » d’un pays qui provoquent la nausée la honte, et une magnifique décrépitude. La preuve, la sauvagerie grouillante crachée par la chanteuse, enfermée derrière les barreaux : « je suis de la horde des orpailleurs d’histoire…je n’existe pas. Je fais mémoire en m’enracinant dans vos silences » puisque les gens – victimes autant que bourreaux – préfèrent se taire! Comment alors supporter cette absence des voix, ce vide?
Toutefois, après une litanie d’appels à la mort, « je me tue », « Je me tue », et « je me tue. » la conscience migrante s’éveille, celui qui cherche à dépasser la spécificité nationale, sa propre histoire coloniale annonce sa prise de conscience collective associée à toutes les identités, toutes les races et toutes les nations. Toutes les langues se déclarent libérées par cette plongée dans le vide, afin de dépasser tout ce qui pose obstacle à cet élan de l’individu. Les liens familiaux, les villes d’origine, les ethnies, les races, les religions, les nationalités. L’exilé par excellence sort de nulle part et de partout, pour devenir celui qui est capable de partager, de ressentir, de comprendre et de résister à toutes les horreurs du monde. Ainsi, le spectacle devient un véritable rituel qui domine les derniers moments de la soirée alors que l’ événement scénique opère une transformation psychophysiologique sur l’acteur et sur le public.. Les battements des percussions résonnent, des hurlements délirants deviennent presque insoutenables. Et voilà Raharimanana aux cheveux ébouriffés, une figure inquiétante qui suit les battements des tambours assourdissants et nous nous perdons dans les gestes de ce corps secoué furieusement. Ses mains cherchent à s’agripper à une présence invisible dont la voix délirante semble remplir la salle. Voilà l’arrivée de La Tromba, la manifestation de possession par les esprits des ancêtres qui font tout basculer.
Les paroles deviennent autrement signifiantes. On croit ne plus rien comprendre mais c’est à ce point que tout le public partage la transe de l’artiste, selon Paul Ottino (Le Tromba, Homme 1965, 5-1, p. 85-86). Tout le monde entre dans la cérémonie d’origine malgache : le public est agitée, excitée par la résonance des tambours » et voilà en plein spectacle que Raharimanana passe des moments les plus graves aux sourires qui frôlent les plaisanteries les plus diaboliques et nous voilà au bord du défoulement collectif.
N’est –ce pas Raharimanana qui cherche à recréer l’image du migrant qui hante l’occident et pèse sur la conscience des anciens colonisateurs? Il ne faut rien passer sous silence, dirait-on. Il faut révéler les horreurs de l’actualité. Toutefois, pour contrer l’oubli auquel l’ histoire officielle condamne souvent les traces de tous les massacres coloniaux, il faut faire surgir les ancêtres et leur assurer que les souvenirs sont bien vivants, bien ancrés dans la mémoire du corps. Ainsi, l’acteur se transforme en chaman!! La cérémonie se déroule merveilleusement; les massacres passent sur un autre plan de réalité. Ils deviennent la substance mythique d’une nouvelle matière culturelle qui entrera dans la légende en passant par les nouveaux récits fondateurs du pays dont il ne reste qu’une ruine . Et nous avons eu le privilège de partager le geste de celui qui souhaite refaire le monde! …La suite ne devrait pas tarder.
Parfois le vide
Création 2018
texte et mise -en scène Jean-Luc Raharimanana
Regard extérieur: Nina Vilanova (Théâtre Studio d’Alfortville, Cie Christian Bendetti
Interprétation
Raharimanana voix
Géralide Keller voix, chant, flûte traversière
Création musicale
Tao Ravao Cordes, Jean-Christophe Feldhandler percussions
création lumière: Vincent Guibal
son Claude Valentin
Co-production: Théatre d’Ivry Antoine Vitez, Théâtre -Studio d’Alfortville, Cie Christian Bendedetti