L’Homme de décembre: Texte de Colleen Murphy, mise en scène de Sarah Garton Stanley.
Le 6 décembre 1989, un homme entre dans un amphithéâtre de l’École polytechnique à l’Université de Montréal, muni d’un fusil d’assaut, un Ruger Mini-14. Les étudiants sont priés de quitter la salle. Quelques instants plus tard, les corps de quatorze étudiantes jonchent le sol. La nouvelle se répand rapidement et le Canada tout entier est en état de choc. Selon les témoins, le tueur, Marc Lepine, souhaitait se venger de ces «féministes», qui voulaient occuper les postes traditionnellement réservés aux hommes.
Vingt-six ans après, le pays est encore hanté par ce drame et la question persiste. Comment ne pas se poser des questions sur la manière d’aborder ce sujet-piège dont les moindres détails de la tuerie tragique sont connus de tous, puisque l’événement fut décortiqué par la presse. Comment construire un récit, cerner des personnages, soutenir l’intérêt au-delà d’un voyeurisme réaliste quand l’auteure refuse d’adopter une perspective historique, ou d’approfondir la psychologie des acteurs d’un drame déjà trop connu?
Cette dramaturgie nous laisse perplexe, puisque la situation est fondée sur la culpabilité profonde du survivant, évoquée par l’auteure qui déplace nos regards sur les personnages secondaires, mettant en relief les répercussions de la tuerie sur un des étudiants, évacués au moment où le meurtrier éventuel demande aux mâles de quitter l’amphithéâtre avant d’abattre les femmes.
La chronologie des événements est inversée, et la pièce commence deux ans après le massacre puis remonte au moment où il est annoncé à la télévision, et se termine quand le jeune homme rentre à la maison après avec vécu le traumatisme avec ses camarades de classe.
Curieusement, dès le départ, le dialogue nous permet de deviner le sort du jeune homme et de sa famille, de sorte que la suite ne nous laisse plus rien à découvrir. Les références aux émotions exacerbées, à la paranoïa, à la dépression et aux conflits de classe de Marc Lepine, surtout par rapport à sa mère, se répètent en s’intensifiant.
Le texte finit par rester à la surface des choses, sans que l’auteure creuse les personnages et en cerne les nuances; en revanche, elle insiste sur une vision statique et essentiellement réaliste, malgré le décor qui frôle un expressionnisme intéressant.
Heureusement, grâce au jeu raffiné du comédien qui interprète le père, et aux débordements intenses du fils souffrant, nous sommes parfois émus mais, de manière générale, la pièce répète les réactions sans faire évoluer la nature de cette angoisse. Le mouvement général provoque une lassitude et un gêne, surtout, lorsque l’écrivaine tente de stimuler notre intérêt avec un humour racoleur et inapproprié. Le personnage de la mère, dont la brutalité et la faible affection qu’elle a pour son fils, est à la limite de la caricature.
Le choix d’une musique électronique, bruyante et violente, qui signale les transitions dans un paysage frappé par la mort, est très efficace et l’excellent décor, aux graffitis violents et sculpté par l’éclairage, donne à cet espace trouble l’allure d’une prison dotée d’une neutralité froide. Une curieuse rencontre de distanciation et d’affectivité ! On a l’impression que l’auteure fait tout pour esquiver l’essentiel…
Alvina Ruprecht
Théâtre anglais du Centre national des Arts, Ottawa, du 16 au 28 novembre. L’article a paru pour la première fois sur le site theatredublog.unblog.fr