Les mots justes pour dire le conte social: spectacle à la salle Franz Fanon à l’Atrium, Fort-de-France.
9 février 2014
—Vu par José Alpha, metteur en scène et comédien.
La Carte blanche donnée à Jean-Claude Duverger, vendredi soir dernier, par la direction de l’Atrium, a permis de révéler aux nombreux spectateurs de la salle Frantz Fanon, un beau récital « Des mots pour le dire ». Des mots justes, sans emphase, sans détour, ciselés à la pointure des histoires et des contes considérés comme sociaux, et initiatiques, que le comédien, poète conteur et acteur Jean Claude Duverger, transporte avec lui comme des porte-bonheurs depuis les premiers sourires de sa mère, dit-il.
Un pinceau lumineux blafard qui rappelle ces ambiances insolites des histoires en demi-teintes, révèle un personnage attablé, dos au public. Il a en fait la tête posée sur les avant bras, et on comprend qu’il s’est assoupi sur un paquet de feuilles certainement dactylographiées d’où émergera le récit d’une adolescence espiègle façonnée pour partie, par une dame Paulette appréciée pour « ses gros tétés et ses formes généreuses à énerver les messieurs. »
Le conteur tiré de son sommeil par les musiciens, un flutiste-pianiste et un percussionniste, lancera avec aisance et bonhommie, l’épopée de son enfance à la faveur du clair obscur de son enfance jusqu’aux derniers évènements socio politiques qui caractérisent le pays natal, la Martinique, et plus singulièrement le quartier où il a vécu. Si l’effet de surprise souhaité par la mise en scène prend de manière fugace, là aussi, en demi-teinte, précisément juste avant la fin des 60 mn du premier set, le génie du comédien conteur captive fort heureusement d’entrée le spectateur.
La salle Frantz Fanon de l’Atrium est pleine et l’auditoire acquis à l’acteur se laisse guider dans les transpositions épiques aux rythmes parfaitement maitrisés des inspirations comiques, lyriques et romanesques soutenues malheureusement de manière inégale par les musiciens.
La vision de son enfance et de son destin que nous propose l’auteur, Jean Claude Duverger, soulève l’enthousiasme. Chacun rit de lui-même se reconnaissant dans les épreuves qui jalonnent la destinée partagée depuis l’enfance jusqu’à l’adulte. Des mésaventures, des malchances, des infortunes, pèsent sur des existences difficiles mais allégées par les leçons de chose des anciens, des plus expérimentés et des plus débrouillards. Utilisant avec sensibilité le va et vient (alé vini) entre la poésie d’un lointain légendaire et la cruauté du présent, le conteur gère les émotions populaires tant par les mélopées du blues créoles (voix bèlè) que par les malheurs comiques qu’il porte en lui et qu’il exorcise par la dérision.
C’est là que le comique prouve sa force quand il ne craint pas de ridiculiser ce que nous prenons le plus au sérieux. Et Jean Claude Duverger, l’un des meilleurs conteurs sociaux, nous fait admettre d’abord avec effroi, la tragédie du collier d’or arraché au cou de la femme en pleine rue par un jeune voyou qui lui entaille la joue d’un coup de rasoir pour lui avoir résisté, et frappé avec ses talons de chaussures. Puis la colère nous submerge quand le voleur va rapporter avec fierté l’aventure à ses complices parmi lesquels se trouvent justement le fils de la femme agressée. Et le spectateur satisfait partage la vengeance du jeune homme quand il frappe rageusement le voleur, son ami et complice par ailleurs, de coups de plats de coutelas (machettes) pour avoir agressé sa mère. Les deux garçons se retrouvent au tribunal accompagnés de leur mère respective. Et loin de s’agripper, les deux femmes tomberont en larme dans les bras l’une de l’autre face à l’absurdité de la situation qui nous fait admettre avec clarté d’une part, qu’un sujet se prête à un comique plus fort s’il offre l’occasion d’un tragique plus grave.
Mais, d’autre part, si le poète tragique dégage de son sujet tout ce qui donne de l’importance au malheur jusqu’à en faire la tyrannie du monde, l’auteur comique, au contraire, met tout en œuvre, non pas pour nier l’existence du malheur mais pour nier son importance. Alors que la tragédie finit mal, la comédie finit bien. Et tout est bien qui finit bien. Et la morale rédemptrice est sauve.
Les comédies créoles de Jean Claude Duverger explorent les vraies problématiques sociales vécues à travers le prisme de la morale des gens simples et honnêtes « avec un cœur gros comme çà », a dit une jeune spectatrice visiblement émue. L’éducation des enfants, l’amour d’une mère, la fierté sexuelle des hommes, l’autorité des femmes, la transmission des valeurs sociales et humaines, la violence conjugale, l’espoir d’une vie meilleure et apaisée, … sont autant de témoignages exprimés par les personnages de ces histoires qui pénètrent encore l’auditoire, et qui nous ont conquis.
Les émotions maintiennent l’attention durant tout le spectacle ; les rires remplissent la salle et les silences vite rattrapés sont autant de cauris qui éclairent la trace à suivre pour rejoindre la générosité du comédien.