Les Impromptus de treize heures au théatre de Bussang
par Janine Bailly (Madinin-art, 28 août
L’impromptu est un genre théâtral qui se doit d’être spontané et éphémère. L’impromptu est aussi quelque chose que l’on fait « sur le champ, sans préméditation ». Est-ce le hasard seul qui a voulu que se nomment « Impromptus » les manifestations courtes offertes à treize heures, au jour le jour, dont on ne connaît pas par avance le programme et qui se donnent sur le podium à l’ombre des arbres, ou dans la petite salle nommée Salle Camille (en souvenir de l’épouse de Maurice Pottecher créateur du lieu) ? Ou faut-il y voir une connivence avec la troupe de Gwenaël Morin venue de Lyon nous donner Les Molière de Vitez ? On sait aussi de Molière L’impromptu de Versailles, petite comédie qu’il écrivit à la demande pressante du roi, Molière qui dans Les Précieuses Ridicules fait dire à Cathos que « L’impromptu est justement la pierre de touche de l’esprit ». Des Impromptus proposés au début de ce mois d’août, je n’ai pu voir hélas qu’un seul film et assister à une seule rencontre.
Théâtre du Peuple, Voyage au bout de la vallée est un documentaire de 52 minutes réalisé par Arnaud Virat en 2004 pour la télévision. Cette année-là, Christophe Rauck, directeur à Bussang, a choisi de monter une pièce de Bertolt Brecht, La Vie de Galilée. Le film conçu comme un compte à rebours suit la préparation du spectacle, de la fin de l’hiver où les arbres s’ébrouent sous les dernières neiges jusqu’aux cinq semaines de répétitions qui aboutiront mi-juillet à la première du spectacle. Il plane sur les images, parce qu’elles suivent le passage des saisons, comme un parfum de nostalgie, ce sentiment qui s’attache à un temps révolu où se posaient les prémices de ce qu’est aujourd’hui le Théâtre du Peuple. On peut y voir l’institutrice du village quitter la classe pour la scène, une jeune comédienne recevoir une leçon de théâtre (et l’on songe un tout petit peu à Elvire-Jouvet), les ateliers se mettre au travail, comédiens professionnels et amateurs confronter leurs expériences et leurs univers, et bien d’autres choses émouvantes encore.
Je n’oublierai pas davantage la communication instructive faite, sous le soleil et dans le vent léger qui soulevait les jupes, par Bénédicte Boisson, Maître de conférence en Études théâtrales à l’Université Rennes 2. En 2015, elle publiait avec Marion Denizot Le Théâtre du Peuple de Bussang — Cent vingt ans d’histoire. Un ouvrage historique qui retrace l’aventure du théâtre de sa création à nos jours, et qui se veut « non mythifié », fait à partir d’archives publiques mais aussi privées, car beaucoup à Bussang sont en possession de souvenirs à partager ! Et les interviews des gens du cru ont complété les documents recensés. Un livre qui est donc né en partie d’une véritable enquête locale. Bénédicte Boisson nous dira que si cette utopie humaniste et théâtrale a perduré quand tant d’autres sont tombées dans l’oubli, c’est qu’on se trouve dans un lieu de mémoire — qui fourmille d’anecdotes —, un lieu où le théâtre est avant tout une aventure humaine. Que l’utopie est ici mise en œuvre, qu’on l’a voulue utopie en actes, et que la capacité à allier les contraires a assuré sa longévité. Simon Delétang, directeur et pour l’occasion modérateur, conclura sur cette idée que le Théâtre du Peuple est « en marge, un lieu à dompter, monument historique et lieu de création à la fois », et que garder cet équilibre — qui crée justement l’esprit singulier de Bussang — entre des enjeux différents est « un défi permanent » : il faut faire ici ce qu’on ne saurait faire ailleurs, et le but est, en dehors de la réussite estivale et de la logique festivalière, de « faire rayonner ce théâtre, de le rendre visible toute l’année ». Lui qui vient d’être nommé pour quatre ans à la tête de l’institution pense qu’il est « très sain d’avoir des directeurs successifs ».
Alchimie de la tradition alliée à la modernité, Simon Delétang demande à son père Jean-Noël, de tout temps comédien amateur, d’assumer le rôle du père de Wilfrid dans Littoral, et l’on sait que Maurice Pottecher, dont le propre père industriel à Bussang avait financé la construction du théâtre, organisa les premières représentations dans un cadre et dans un esprit familial. Désormais, un peu comme chez Ariane Mnouchkine au Théâtre du Soleil, les acteurs se mêlent aux bénévoles moins nombreux qu’autrefois pour accueillir le public, le côtoyer et le servir au bar, à la librairie, au kiosque où se trouveront les précieux coussins à mettre sur les bancs de bois, et peut-être aurez-vous la chance de voir votre billet d’entrée déchiré par Simon Delétang en personne ! Mais déjà se profile le futur, qui ne laissera pas le Théâtre sombrer dans un sommeil automnal : en octobre ce sera Tumultes, une pièce engagée de Marion Aubert mise en scène par Marion Guerrero, un texte qui pose des questions sur le monde comme il va, et qui « à défaut d’apporter des réponses aide, je l’espère, à nous donner des forces, et à ne pas nous condamner au bégaiement de l’histoire, et à l’oubli » (Marion Aubert). En décembre, Faits d’hiver sera constitué de cinq pièces courtes écrites en résidence, et jouées dans plusieurs lieux de Bussang, où peut-être le froid ne sera pas aussi vif qu’à l’intérieur du grand édifice de bois sous les neiges ! Enfin, des stages déjà programmés accueilleront dans l’année les amateurs désireux de se former, ou de participer au spectacle de juillet aux côtés des professionnels. De beaux jours en perspective pour tous les amoureux du théâtre.