Le Dire de Di : la naissance d’une petite créature mythique!
Photo: Céline Bonnier dans Le Dire de Di.
Le Dire de Di : Mise en scène de Michel Ouellette, interprété par Céline Bonnier à la Nouvelle Scène, Ottawa
Dans un premier temps, les phares alignés au fond de la scène nous aveuglent alors qu’une voix douce annonce l’arrivée d’une petite tête blonde tout ébouriffée, la merveilleuse Céline Bonnier en « Di(ane) » un ado de 16 ans. Elle sort lentement de sa boîte noire comme un animal qu’on a enfin libéré. Les phares s’éteignent doucement, la jeune personne avance vers la salle, sort de l’ombre, s’approche du lutrin (il s’agit d’une lecture-spectacle) , regarde le public furtivement et commence son « dire » en hésitant.
Bonnier capte la délicate fragilité de cette petite. Timide, elle choisit ses mots, consulte peu son texte et peu à peu, sa voix s’affirme et le texte s’évapore. On est hypnotisé par les trois couloirs de lumière qui tranchent l’espace au-dessus de sa tête comme un crucifix luisant, signe du grand malheur, le supplice qui va bientôt s’abattre sur la jeune fille. Et Di, naïve et fraiche, gaie et amoureuse de la nature, celle qui appartient à « la race des incivilisés humains, », un être profondément ancré dans le miracle de la création, nous livre son secret : une belle histoire d’amour avec la terre!
Di se transforme en créature mythique! Un être éternel qui partage son existence avec tout ce qui vit autour d’elle.
La parole de Ouellette, responsable aussi de la mise en lecture, est d’abord une forme de partition où la musicalité de la langue à la fois populaire et recherchée, devient un jeu de sonorités, des moments de respiration, des silences , voir une accumulation de désignations familiales : Makati, Dorémi, Tima, Ine, Paclay, et Mario. Elle nous invite à participer à cette prise de possession de la nature, une plongée dans un monde d’activisme poétique sorti de la bouche de sa mère car il faut nommer des choses pour leur donner vie. Sommes-nous dans un panthéon polythéiste du peuple autochtone ou animiste? Un environnement fondé sur la parole, une accumulation de liens mystérieux grâce à la plume d’Ouellette. Di retrouve même un lien délicat avec la magnifique mais décevante Peggy Belatus, prospecteur minière, guerrière de la forêt, dont le père incarne les grosses machines de destruction!
Bientôt le « dire » qui prend possession de son jeune corps , découvre les bruits inquiétants de la forêt et surtout le carnage des racines, le ravage des arbres, les compagnies forestières qui ouvrent les plaies dans le sol et broient la terre, qui abattent les arbres et laissent les carcasses pourrissant sur le sol.
Et voilà la combat : Di, enceinte d’un oiseau est une magnifique image poétique qui signifie la fusion entre cette petite créature humaine et les autres espèces du globe terrestre. Néanmoins, les géants féroces qui font saigner la terre, ne disparaissent pas. Dans le silence de la forêt, Di nous invite à quitter la salle . Ce silence est-il pessimiste, est-ce la confirmation d’une fin qui s’annonce? Di, cherche-t-elle plutôt la solitude dont elle a besoin puisque Mario, le beau jeune mari de sa mère « a défunté » , (un clin d’œil à Daniel Danis )? N’importe. La scène se confond avec la salle lorsqu’il nous aspire dans un monde méconnaissable et très troublant!
Le Dire de Di une écriture d’une grande originalité qui interpelle tous les publics. Il devrait tourner sur les scènes internationales!
Le Dire de Di, texte et mise en lecture de Michel Ouellette
Avec Céline Bonnier
Lumière et régie, Guillaume Houët
Une production du Théâtre français du Centre national des Arts (Brigitte Haentjens)
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