Le Cid à la Nouvelle scène: la résurgence d’un monde archaïqueue.
Les expériences de Théâtre-rituel réalisées en Europe, aux États-unis et en Grande Bretagne dans les années 1960-70 ont mené la création scénique très loin. Rappelons Marat Sade de Peter Brook , le Prince Constant de, Jerzy Grotowski, les expériences du Living Théâtre (Julian Beck) , et Richard Schechner. Le travail en laboratoire et le processus de création elle-même dans le sillage des expériences psychophysiologiques des anthropologues ont permis de véritables transformations du corps humain alors que les conventions du théâtre explosaient. Ce joyeux chaos a éliminé les frontières entre toutes les pratiques artistiques que nous avions prises pour acquis.
Et voilà que Gabriel Plante concepteur scénique et dramaturge montréalais se pointe à la Nouvelle Scène (Ottawa) avec un spectacle étonnant et turbulent, prolongeant l’esprit de cette autre époque. Après un mois de travail au laboratoire avec une équipe de jeune comédiens de la région, il nous présente sa ‘ création dans la chambre’, en partant de l’œuvre de Corneille revue en rituel d’une violence troublante. Leur recherche met en évidence la véritable transformation des acteurs exposés à un choix de situations sélectionnées du Cid, celles qui mettent en relief l’expression d’une passion effrénée qui brouille toute communication linguistique habituelle. La narrativité de la pièce est réduite à peu de choses, la structure classique est rompue.
Remontons rapidement à Gaston Baty qui avait déjà constaté dans son essai « Sire le Mot », (vers 1922) que « le théâtre devrait opérer l’osmose des passions et fondre un nouvel ordre de réalités » en rejetant l’importance qu’avait pris le texte imposée par le théâtre du dix-septième siècle en France. On dirait que Plante a relancé ce dialogue au Québec.
Toujours est-il que le Montréalais a fait une incursion très osée dans le domaine de la tradition néo-classique du théâtre française. Il a projeté ces figures théâtrales, Chimène, Don Rodrigue, l’infante, Don Diègue, le Comte et le Roi,, dans la brume d’un espace archaïque où le recours aux signes de toutes sortes (visuels, verbaux, sonores,) libèrent l’expression des pulsions pures avec une force animale inouïe .
Que le public soit averti! Il serait préférable de lire la pièce avant d’y assister pour cerner les nuances qui déchirent la relation entre Chimène, Don Rodrigue , l’infante et les deux pères . Ensuite il faut surtout se laisser entraîner dans ce monde mystérieux et glauque, où des portes surgissent et disparaissent, où certains coins sont à peine éclairées par un spot oblique, où un espace central meublé de micros et de sièges ressemble à un lieu retenu pour un orchestre. Dans ce lieu, des émotions intensent sont captées par ces figures qui s’enlacent, qui se touchent, qui grimpent par terre ou qui roulent sur eux-même. On entend des hurlements, des rugissements, des cris insoutenables, des gargouillements, des respirations profondes et laborieuses des êtres vivants en train d’agoniser ou de faire l’amour et de hurler de désir orgasmique.
Lorsque le spectacle commence, on aperçoit le silhouette d’une femme, la tête penchée sur l’épaule d’un homme, tandis qu’une voix de source ambiguë, répète doucement les noms de chacun des amants. Peu à peu, les appels ‘Chimène’ , ‘Don Rodrigue ‘, suffoqués d’émotion cèdent à des sonorités qui évoquent une jalousie haletante et on reconnaît la passion amoureuse de l’infante. Les voix se retrouvent partagées dans cette espace qui cache les identités brumeuses. La femme hurlante se projette contre les amants, les corps se mêlent et disparaissent l’ombre de la scène.
Prenons ensuite la rencontre entre le jeune Rodrigue et le père de Chimène, Don Gomès. La confrontation entre les deux guerriers rugissant comme des ours enragés, reste vocale mais elle annonce un combat mortel. Les ruptures scéniques se suivent jusqu’à ce que le roi fasse son apparition portant des lunettes de soleil en véritable chef de tribu ,dont la grande carrure et la présence des femmes sensuelles accrochées à son corps, font comprendre sa toute puissance . Il nous reste ce portrait d’une communauté d’hommes et de femmes, submergés dans une immense mer de passions qui les ramènent vers les origines pulsionnelles et pré-linguistiques de la civilisation humaine.
Avec tout cela, pourquoi ne pas avoir tenu compte du spectateur, plongés dans ce monde difficile à déchiffrer? Un compte rendu écrit de la pièce, déjà très connue, ainsi que l’indication des scènes sélectionnées pour le travail en atelier aurait pu paraître dans le programme, pour mieux orienter le public visiblement perturbé par cette expérience étonnante et certainement unique qui a malgré tout, gardé toute notre attention. .
Le Cid de Corneille Mise en scène et adaptation Gabriel Plante, dramaturgie Félix-Antoine Boutin
Scénographie et costumes, Odile Gamache
Une production de la Compagnie ‘Dans la Chambre’, et du Théâtre du Trillium en partenariat avec l’École nationale de théâtre du Canada, inspiré de la chorégraphie de Nicolas Cantin et de la mise en scène de Christian Lapointe. .
Éclairage : Julie Bass
Distribution:Amélie Dallaire, Gaetan Nadeau, Jocelyn Pelletier, Elizabeth Smith
Direction technique. Gabriel Duquette