L’adaptation théâtrale de Désirada ou les destins croisés de trois femmes insoumises.
Samedi 25 janvier, L’Artchipel scène nationale Guadeloupe présentait, à l’issue d’une résidence d’artiste dont bénéficia Nathaly Coualy, la première de « Désirada », une adaptation théâtrale du roman de Maryse Condé paru en 1997. Il s’agit là de l’aboutissement d’un projet s’inscrivant dans le cadre d’une co-diffusion avec Tropiques Atrium, scène nationale de Fort-de-France.
Une adaptation, en réalité, que Maryse Condé désirait réaliser avec cette actrice depuis très longtemps. Le projet a trouvé le soutien de l’actuel directeur de L’Artchipel, Gérard Poumaroux. Portée par la compagnie « Ah ! » d’Antoine Herbez, la mise en scène de ce dernier a pu bénéficier d’une équipe de professionnels de renommée, avec Charlotte Villermet, issue du TNS (Théâtre National de Strasbourg) à la scénographie, Fouad Souaker responsable (après « Africa Mandela ») des lumières et le conteur martiniquais et artiste polyvalent, Igo Drané aux musiques.
Laissant de côté tout un pan du roman évoquant la vie de son personnage à Savigny-sur-Orge, Maryse Condé a fait le choix de resserrer l’histoire autour de Marie-Noëlle et de la lignée de femmes dont elle est issue –sa mère Raynalda et sa grand-mère Nina-, et qui la dote d’un héritage de malheurs très lourd à porter. Une généalogie dans laquelle la figure du Père manque, entraînant de la part de l’héroïne, une quête des origines. Celle-ci s’avérera finalement être une quête initiatique à l’issue de laquelle, renonçant à lever le mystère qui entoure sa naissance, la jeune femme se tournera résolument vers la vie et le présent. Cette fin, résolument optimiste, vient détendre et rééquilibrer une dramatisation très sombre mettant en lumière une série de traumatismes violents : un abandon d’enfant, un amour rejeté et surtout, un viol d’autant plus traumatisant qu’il est fantasmé.
Si, déjà, le roman faisait la part belle à des aveux sans fards à peine voilés de Maryse Condé, l’adaptation théâtrale s’enrichit d’une série de clins d’œil, la mise en scène soulignant un certain parallélisme entre le personnage de Marie-Noëlle et l’actrice qui l’interprète, Nathaly Coualy. Le rideau se lève sur une jeune femme qui refuse de sourire et rejette les talons aiguilles et le « costume » qui la déguise, pour apparaître, au naturel, pieds nus, dans une simple salopette noire. On pense alors au rejet viscéral de Maryse Condé à l’égard de tout ce qui pourrait évoquer l’image doudouiste de la femme antillaise. On sait moins, peut-être, qu’avant d’être comédienne Nathaly Coualy fut mannequin et qu’elle renonça à cette carrière pour reprendre des études à New-York. Enfin que, comme Maryse Condé originaire de la Guadeloupe, l’actrice mena une vie de vagabonde qui l’entraîna loin de son île. Et que, si elle n’a pas eu, comme Maryse Condé et comme Marie-Noëlle, une grand-mère née à La Désirade, c’est néanmoins sur cette île qu’elle choisit de célébrer son premier mariage.
Mise en scène et scénographie, bien que minimalistes, vont faire la part belle à quelques éléments emblématiques, susceptibles de se métamorphoser pour devenir polysémiques. Si l’on revient à l’ouverture du rideau, que trouve-t-on ? Un espace carré délimité par des bâtons, au centre duquel se trouve une valise. Si la jeune femme fait exploser ce cadre étroit qui l’emprisonne et renvoie aussi bien à l’île qu’à la famille, elle traînera cette énorme valise, comme un fardeau, tout au long de la pièce. Et c’est à l’intérieur de celle-ci, qu’elle trouvera les attributs vestimentaires qui lui permettront de composer le personnage de la mère, avant d’endosser son costume, puis celui de la grand’mère. C’est aussi cette valise qui va lui servir de paravent et lui évitera de se montrer, nue, face au public…
Autre élément, et non des moindres, de la mise en scène : la présence d’Igo Drané. En dépit d’une présence souvent réduite à quelques bribes de mots ou de notes musicales, ce personnage va faire office de passeur : passeur de paroles et passeur de rêves renvoyant à l’enfance et à l’univers des contes sur l’île. Silhouette muette en arrière-plan, ce personnage peut tout aussi bien incarner la présence bienveillante d’un compagnon. Une figure masculine positive venant contrebalancer celles, négatives, des beau-père, patron ou mari que les trois femmes auront eu à subir.
Ainsi la mise en scène évite-t-elle le double écueil que pouvaient constituer une adaptation romanesque au théâtre d’une part, et d’autre part un spectacle réduit à un simple one-woman show. Nathaly Coualy était pourtant familière de ce genre de représentation, et les Guadeloupéens avaient déjà eu l’occasion de la découvrir, en 2012 au ciné-théâtre du Lamentin, dans « Elle ne fait pas sans blanc ». Mais l’actrice se présentait alors -et en était appréciée-, comme humoriste alors que « Désirada » lui permet de démontrer qu’elle peut incarner, avec autant de talent, des personnages dramatiques.
A l’image du personnage de Marie-Noëlle revenant à La Désirade sur les lieux de son enfance, nous souhaitons que ce retour au pays natal permette à Nathaly Coualy de poser sereinement ses valises. Tout en continuant à dénoncer courageusement, comme le fit toujours Maryse Condé, les secrets et mensonges avec lesquels une société tente de se protéger. Mais qui finissent par la ronger, telle une lèpre.
Scarlett Jésus, 27 janvier 2020. sou