La Fille d’Argile de Michel Ouellette: le monde piégé des ados où le tragique guette
Frédérique Thérien et Simon Bradshaw. Photo. Sylvain Sabatier.
L’effervescence dans l’École de La Salle a vite débordé les couloirs de la section « théâtre » pour remplir la salle de spectacles de cette institution où la troupe La Catapulte nous a offert sa dernière création, La Fille d’Argile. En attendant la reconstruction de son espace, le centre culturel franco-ontarien La Nouvelle scène, le tandem Michel Ouellette (auteur dramatique) et Joël Bedows (metteur en scène) qui nous ont déjà donné d’excellents moments de théâtre (Le Testament du couturier, Frères d’hiver etc ), nous retrouvent dans la belle salle de cet espace scolaire avec ce drame d’ados qui capte l’impuissance, la frustration, la rage des jeunes piégés à tous les coups.
La jeune Lili (Frédérique Thérien) arrive en hurlant de colère et en poussant devant elle une créature meurtrie, dont le visage, caché sous son « hoody », laisse deviner une figure sale et sinistre (Simon Bradshaw). Muette, recroquevillée sur elle-même, cette créature sombre se laisse brutaliser par le jeune fille, elle-même maculée de sang et quasi hystérique. On a compris qu’elle et son gang auraient assassiné un innocent mais la vérité se révèlera au fur et à mesure de ce drame qui arrache les masques et montre les personnages dans toute leur vérité la plus crue. La rencontre se déroule dans un demi-cercle, délimité par des têtes sculptées en argile qui évoquent des colonnes en ruines d’un lieu « antique ». Les têtes déformées, fissurées, sont censés représenter Lili, selon son père (Richard Léger), ancien sculpteur devenu entrepreneur en immobilier. Visiblement, cette manière monstrueuse de la présenter révèle immédiatement l’incompréhension qui règne entre la jeune femme et le père égocentrique. Le mur de figures en argile qui sépare le père et la fille est étanche. Lili souffre profondément d’une solitude qu’elle n’arrive pas à articuler alors que le sculpteur, tel un Pygmalion à l’envers, reproduit l’image grotesque de sa fille pour montrer la déception d’un père dont la fille ne ressemble pas du tout à l’image idéale qu’il aurait souhaitée. En effet, ses expériences avec son gang qu’elle raconte à son père évoque une telle horreur qu’il a du mal à se retenir devant cette créature qu’il ne reconnaît plus. Au fil d’une confrontation brutale entre le père et la fille qui frôle une séance de torture, le jeune observateur muet et mystérieux, qui cache son visage, finit par saisir un maillet et fracasser les têtes sculptées pour libérer la jeune femme de cette prison d’argile. La cage de leur existence est ouverte et ils peuvent enfin chercher à réinventer leur monde. Sans doute une force libératrice du destin mais il fallait une force extérieure, voire transcendante, pour guérir Lili de sa rage. Il est vrai que tout se résout un peu trop facilement dans un symbolisme trop évident mais la mise en scène donne à tous ces éléments une grande puissance émotive.
Il faut noter le travail du metteur en scène et surtout sa complicité avec les jeunes personnages. Il ouvre les écluses des sentiments les plus rares et tout y coule avec une férocité troublante. On note surtout Frédérique Thérien (Lili) dont l’énergie et l’acharnement physique font se dresser les cheveux sur la tête. La comédienne est excellente et tout à fait capable de passer d’un niveau de violence extrême à un niveau de douceur et de calme inattendu tout en restant convainquante. On note aussi que Beddows a imposé un style de jeu classique , une ambiance hiératique, ritualisée, où les personnages hurlent de douleur, et sombrent dans l’impuissance. Les personnages jouent presque comme s’ils portaient des masques, pour effacer des traces d’une psychologique individuelle et, évoquer les liens avec des puissances supérieures. Nous sommes dans un monde ou le tragique guette .
Simon Bradshaw, excellent comédien et très connu dans le milieu anglophone, réussit à créer une ambiance de malaise profond en gardant un mutisme absolu. Son regard tue et cela suffit. Le père, joué par Richard Léger, réussit le passage entre l’état d’un homme indifférent, absorbé par ses difficultés quotidiennes et celui d’un homme déchiré par les découvetes douleureuses à propos de sa fille. Le jeu est bien mené, et Thérien capte une horreur de soi qui appelle un désir de rédemption sans sombrer dans le pathos, ni les expressions caricaturales de révolteé . Thérien cerne la gestualité des monstres mythiques pour donner toute la force à son interprétation.
Le décor de Brian Smith, qui a créé ces têtes évocatrices de gorgones tordues, est excellent; les éclairages contribuent également à l’ambiance et les costumes de Geneviève Couture conviennent parfaitement aux personnages, jusqu’aux bottes noires de Lili qui annoncent ses penchants fascisants, tempérés par la jupe courte et d’autres éléments plus stylisés.
Un texte qui nous ouvre les pistes vers un monde très trouble de la jeunesse, interprété par un metteur en scène qui a tout compris.
La Fille d’Argile de Michel Ouellette
Mise en scène Joël Beddows
Scénographie – Brian Smith
Éclairages- Guillaume Houët
Evnironnement sonore – Venessa Lachance
Costumes Geneviève Couture Une production du Théâtre la Catapulte.
Distribution
L’homme – Simon Bradshaw
Ken – Richard J. Léger
Lili – Frédérique Thérien
[FL1]Ça fait 2 fois « rare » dans la même phrase, ce qui est beaucoup
[FL2]Je ne comprends pas cette construction de phrase