Fool for Love: Un travail bouleversant!
Posté le 26 avril, 2013 dans theatredublog.unblog.fr
Fool for Love de Sam Shepard, traduction de Michèle Magny, mise en scène de Kevin Orr.
Dans une chambre de motel minable, les quinze spectateurs sont pris comme des rats voyeurs entre ces murs qui suintent le sexe, en compagnie de ces deux personnages enfermés dans leur couple autodestructeur. Le lieu choisi par la compagnie Les Cybèle est parfait: ambiance crue, espace étouffant et bien adapté à cette rencontre entre deux êtres qui s’aiment et se détestent avec une passion égale.
Il l’avait quitté pour une autre femme. May s’est enfuie et il l’a rattrapée: ils se retrouvent maintenant dans cette chambre, après un long voyage à travers le désert, et les voilà en pleine fable western, où les bons et les méchants ne sont pas du genre évident et où la violence ne tarde pas à se déclarer.
Relégué dans un coin, le père, figure mystérieuse, observe attentivement le couple, en gardant ses distances; c’est pourtant lui qui détient la clé de cette histoire d’inceste qui déchire sa famille. Et c’est, par moments, une expérience pénible: May, la jeune femme, recroquevillée sur le lit, cache son visage dans un geste désespéré. Eddie, en débardeur, bottes de cuir et chapeau de cowboy, assis en face du lit, tripote un lasso et lui parle mais elle refuse de le regarder.
Le vieux père, lui, pince les cordes de sa guitare et murmure quelques paroles en guise de mise en bouche à ce récit d’un far-west mythique. C’est à nous en fait qu’il s’adresse: il se tient bien en retrait du couple et on a l’impression qu’il n’appartient pas ni au monde des spectateurs, ni à celui des personnages qui s’apprêtent à vivre leur histoire intime devant nous, dans un paysage western hyper naturaliste angoissant.Le père a une présence qui nous renvoie ailleurs mais qui se matérialisera bientôt devant Eddie, le fils, au moment où les segments du récit se mettent en place; il avait abandonné sa famille…. Et, comme un revenant, il est le modèle du père qu’il imitera. Ce qui explique toute cette tristesse, cette frustration, et cette rage.
L’espace, décor ici incontournable, reflète la solitude de May, l’intensité brûlante des émotions conflictuelles qui rapprochent le couple et l’insoutenable mépris d’Eddie face à Martin, un gentil jeune homme qui essaie de sortir avec la jeune femme. Le quatuor de personnages aux émotions complexes a quelque chose de fascinant, comme le rythme du spectacle où le dialecte local est pour beaucoup.
Yves Turbide interprète remarquablement un Eddie jaloux face au jeune prétendant;, et qui emploie la séduction brutale pour récupérer sa femme, et dont les accès de sadisme sont alimentés par l’alcool. La manière qu’il a de reproduire la vie désordonnée du père, nous emmène sur les traces d’une vision tragique de l’Amérique. Son monologue , quand il raconte sa découverte de la deuxième famille de son père, est magistral.
Paul Rainville (le père), comédien plus classique que les autres, a une présence inquiétante: il a bien capté l’ambiguïté de ce père mystérieux, à la fois absent et présent, et à l’origine des comportements destructeurs auxquels sa famille a été condamnée. La porte de la chambre s’ouvre: la lumière entre, une lumière crue et libératrice venant du parc de stationnement, où le bruit des voitures et le crissement des pneus produisent les effets d’une véritable hyper-réalité et qui attirent Eddie, l’éternel vagabond.
L’excellente mise en scène de Kevin Orr s’impose vite, soutenue par cette équipe d’excellents comédiens qui nous emmènent dans les moindres manifestations de l’ intimité de leurs personnages. Mais, pour les anglophones, le français est parfois difficile à suivre et lire un résumé de la pièce ne sera pas un luxe: c’est important d’en suivre de près le récit…
Alvina Ruprecht
Motel Concorde, 333 Chemin de Montréal, jusqu’au 27 avril.
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