Congre et Homard de Gael Octavia. Un grand moment du “off”.
Une œuvre qui a suivi un processes de création intéressant que j’ai pu suivre de la Guadeloupe jusqu’en Avignon. Congre et Homard, présenté d’abord comme une mise en lecture en Guadeloupe il y a 2 ans, a été réalisé grâce à l’appui de ‘Textes en paroles’. Cette association guadeloupéenne œuvre à la promotion des écritures dramatiques de la Caraïbe soumises à un processus de sélection par un jury international. L’auteur Gael Octavia est martiniquaise; les deux protagonistes sont joués par des Guadeloupéens Joel Jernider, (comédien) et Dominik Bernard (comédien et metteur en scène).
Sans entrer dans des commentaires historiques, il faut seulement souligner cette collaboration entre les artistes des deux îles qui signifie un renouveau important du regard théâtral et une ouverture importante du milieu vers toute la région de la Caraïbe et des Amériques (voir Les Sauveurs de Ricardo Prieto).
L’intelligence de ce dialogue pétillant de Gael Octavia est mise en valeur par la mise en scène de Domink Bernard qui a su apporter de nouvelles profondeurs à une rencontre très trouble entre un pêcheur et l’amant de sa femme. Un prologue mimé, grâce au séduisant travail du metteur en scène, révèle l’angoisse et la jalousie d’un mari trompé qui adore sa femme. Cette ouverture mimée, agrémentée d’effets d’éclairage aquatiques glauques, nous prépare dès le départ à une confrontation hautement dramatique qui finira mal. Pourtant, la situation ne se déroule pas comme prévu puisque l’auteur , beaucoup trop espiègle, a préféré créer une ambiance chaotique de rebondissements, d’ambiguïtés, de sentiments à la fois dévoilés et cachés, un peu à la manière du jeu Touloulou du carnaval guyanais!
Il s’agit d’une drôle de rencontre dans un restaurant le jour de fermeture. En effet, le mari, tend un piège à l’amant de sa femme. Le public se rend déjà compte de la situation par la mise en contexte du prologue mais l’invité lui, ne sait pas que le mari est au courant de son secret. D’où tout le piquant.
La mise en scène travaille avec les métaphores des deux bêtes de mer du titre, le congre et le homard, pour évoquer dès le départ un espace liquide, symbole des tourbillons de l’inconscient de ces deux hommes qui s’affrontent. Par ce travail de mime supplémentaire, le metteur en scène a apporté au spectacle une profondeur qui n’était pas du tout dans le texte et donné à l’œuvre un fond psychologique insoupçonné, une tonalité sombre et mystérieuse, voire inquiétante, qui nous bascule à droite et à gauche par le jeu d’aveux chaotiques que précipitent le dénouement.
Les voilà les deux adversaires qui s’affrontent, à table, au restaurant. Le mari (Bernard) est agité et fou de jalousie. Ses mouvements sont saccadés, son discours est rapide et quasi hystérique. L’autre (Jernidier), en revanche, reste presque immobile, inquiet. Il n’ose pas bouger et il ose à peine ouvrir la bouche parce qu’il n’a pas encore compris le sens du jeu, ni pourquoi il a été convoqué. Les rapports entre ces deux adversaires sont splendides, tendus et l’attente est quasi insupportable.
Au départ, le dialogue est difficile, mais peu à peu le mari révèle ses motivations et les jeux de pouvoir se corsent, chacun essayant de prendre le dessus de l’autre par des aveux qui changent rapidement la donne et transforment les relations entre les deux à une vitesse étourdissante.
Est-ce la revanche de la femme? Peut-être mais l’ambiguïté règne, voilà ce qui donne à cette rencontre tout son piquant, sa texture théâtrale. Le texte annonce une auteure qui sait manier les jeux langagiers et qui peut certainement traiter des questions humaines les plus complexes d’une manière efficace et merveilleusement théâtrale.
Quant à Dominik Bernard, cet acteur d’une grande sensibilité (il pourrait crier moins fort par moments), est aussi un metteur en scène qui sait creuser un texte pour en sortir toutes les nuances psychologiques possibles. Grâce au travail de Bernard, la pièce est devenue non seulement un drame divertissant, mais surtout une exploration de l’inconscient des deux hommes qui défendent leur virilité, qui révèlent les émotions masculines et qui sont emportés dans une sorte de duo chaotique où chacun défend son territoire affectif. Un regard très original sur une situation qui est souvent prise un peu trop à la légère. Congre et Homard est un des grands moments du OFF.
Congre et Homard se jouait à la Chapelle du Verbe Incarné au Festival « Off » d’Avignon.
Congre et Homard de Gael Octavia
Mise en scène de Dominik Bernard
Décor : Pascal Catayee et Dominik Bernard
Costumes : Deka
Création lumières : Rober Olivier, William Leclercq
Image : Nicolas Merault
Une production de Textes en Paroles (Guadeloupe)