“Ca ira (1) Fin de Louis”, une bombe politico-historique au Centre des Arts.
Photo. Elizabeth Carecchio
Ça ira (1), Fin de Louis est une « fiction politique » allant de 1787 (la crise financière en France) jusqu’à 1789, la prise de la Bastille. (Programme du Centre national des arts, Ottawa, hiver, 2016, p.5).
La pièce 1789 de Mnouchkine, qui a transformé le soulèvement populaire de mai ‘68 en métaphore historique nous revient à l’esprit mais si la conception scénique du Théâtre du Soleil s’inspire des documents de l’époque et situe le public au milieu de l’action comme le fait Pommerat, les ressemblances s’arrêtent là.
Pour le spectateur canadien, Ça ira (1), fin de Louis, qui dure quatre heures et demie, est avant tout une expérience physique et intellectuelle dont nous sortons vidés par cette succession rapide de débats, de bousculades, de confrontations violentes entre des idées-choque, et références politico- historiques qui mettent en jeu l’avenir de la France. Surtout, nous sommes plongés dans un « monde parallèle » où le passé et le présent se fondent, comme le titre nous fait basculer entre Edith Piaf et la Terreur. Les costumes et le décor dépouillé évoquent le présent alors que le déroulement des événements nous renvoie à la crise financière du XVIIIe siècle, la confrontation entre les classes sociales et la multiplicité d’opinions qui mettent en relief la prise de conscience du peuple lors du passage du Tiers état à l’Assemblée nationale. Nous nous croyons entendre des débats des comités du quartier face à l’attitude récalcitrante de la noblesse et du clergé alors que soudain, grâce aux phrases qui sonnent plus contemporaines, nous voilà en pleine Assemblée nationale de la France actuelle ou même dans la Chambre des Communes du Canada où les députés hurlent, se contredisent, s’interrompent, applaudissent , insultent leurs collègues, s’interpellent malgré le désarroi du président de la chambre qui a du mal à contrôler la discussion.
Voilà une manière brillante de puiser dans toute la sève théâtrale de nos démocraties actuelles, pour en faire ressortir la force, le ridicule et les possibilités autodestructrices déjà implantées dans le système. Par ailleurs, la distanciation provoquée par les références directes à la période révolutionnaire créent un espace de réflexion intense alors que la présence des acteurs/personnages bruyant et agressifs, assis parmi le public, nous arrache brutalement du simulacre pour nous donner l’impression d’assister réellement à une discussion sur l’avenir de notre pays ou de n’importe quel pays pris dans un débat sur son avenir. Il suffit de penser à l’ambiance houleuse qui accompagne les discours électoraux de Donald Trump aux États-Unis, les déclarations récentes en Europe sur l’immigration, sur la présence des étrangers, sur la crise financière accompagnées d’insultes racistes et antisémites. Même si cette société de classes a disparu (et l’intervention des nobles lors de leurs échanges avec le Tiers état était une leçon très intéressante à cet égard), les spectateurs comprennent rapidement les défis auxquels la population doit faire face lorsqu’il s’agit d’un changement si radical de la manière de gouverner un pays. Un bouleversement profond est en train d’avoir lieu et grâce à Pommerat, même celui qui n’a jamais étudié l’histoire peut saisir la gravité de la chose.
De retour au passé, voilà les députés de l’Assemblée nationale réunis à Versailles, plongés dans leurs principes, leurs théories, en train de rédiger une nouvelle constitution de la France, alors qu’à Paris, le people est dans la rue, les morts s’entassent, les têtes tombent , on voit très bien que toutes ces contradictions apparentes, ne sont qu’un passage difficile mais inévitable vers le renouvellement total d’une forme de gouvernance. Dans la lutte qui s’ensuit, on comprend qu’il n’y as pas de méchants, il n’y a que des victimes de cette tentative de libérer le pays de la notion d’un Roi sacré profondément implanté dans les esprits et que seuls les plus tenaces réussiront à changer quoi que ce soit.
C’est donc tout le processus collectif vers une prise de conscience politique qui nous attire. L’œuvre a évité le grand spectacle visuel que nous voyons habituellement à l’écran ou en scène soit la foule agitée, les décapitations sanglantes, la violence macabre dans la rue. En revanche, Pommerat choisi une forme de discussion, un langage verbal qui nous offre le privilège de comprendre comment les conditions de possibilité du savoir qui sont à la base d’une vision « archéologique » de l’histoire foucauldienne sont en train de basculer. Tout ce qui assure la grandeur de la France disparaît et les personnages ne savent plus où mettre la tête.
Le bruit est assourdissant, parfois un peu trop et on perd certaines phrases qui semblent déformées par le micro même si le brouillage sonore rend l’intensité des désaccords évidente et nous projette dans le mouvement d’un monde en train de se transformer Cette forme de théâtre historique produit un souffle épique en captant la pulsion de toutes les injustices du monde. Un événement scénique qui ouvre la voie vers la modernité et transforme les rapports entre l’histoire et le théâtre. Une œuvre à ne pas manquer.
Ça ira (1) Fin de Louis, une production de la Compagnie Louis Brouillard en partenariat avec le Théâtre français du Centre national des Arts. Présenté au Centre national des Arts à Ottawa, Canada du 16 au 19 mars, 2016