Beauté, chalheur et mort: un théâtre thérapeutique se marie à une réflexion sur la représentation du réel.
Nini Bélanger est metteuse en scène, Pascal Brullemans est auteur dramatique. Dans Beauté, chaleur et mort, le couple – nous apprenons à la fin du spectacle qu’il s’agit bien d’un couple-se retrouve ensemble en scène pour la première fois, dans leur propre spectacle. Ils avaient en effet besoin de créer un événement thérapeutique après la mort de leur bébé.
Professionnels du théâtre, ils ont donc pris la décision de marier la difficulté de raconter la mort d’un enfant, et une réflexion sur la représentation du réel au théâtre. Résultat :une œuvre hyperréaliste où une intimité minimaliste accompagne une réflexion sur le rapport entre réel et temps scénique… Ils se rendent alors compte que la durée prolongée et répétée d’une activité douloureuse en scène, transforme la perception de cet événement en un moment profondément « réel » pour le spectateur.
Pour éviter de plonger le spectateur dans un voyeurisme malsain, ils ont fait éclater le quatrième mur et ont invité les spectateurs à franchir la barrière de la scène Ils ont même transporté leurs meubles au CNA, et refusé de cacher quoi que ce soit. Ils montrent tout. Ils sont chez eux, il s’agit de leur tragédie et le public doit le savoir. Montrer la souffrance dépouillée de tout artifice et sans la moindre hésitation, est courageuse. Les voilà, les deux parents/acteurs, penchés sur le berceau dans la salle d’hôpital dans la quasi-obscurité. Le silence est parfois interrompu par les commentaires de l’infirmière ou du médecin, des bribes de souvenirs,et les parents vont à la machine à café pour boire quelque chose. Tout semble authentique : de vrais parents, une expérience vécue vraiment, un passage de temps réel dans une salle d’hôpital bien réelle, de longs moments d’attente où apparemment, il ne se passe rien.
Malgré le récit de la mort du bébé , le spectacle n’est vécu ni comme une tragédie, ni comme un choc larmoyant, ni comme un moment de voyeurisme malsain, puisque les responsables nous attendent et nous accueillent chez eux. Voilà une étrange expérience théâtrale qui nous tient discrètement à distance: il s’agit de l’intimité des autres, d’actes presque trop impudiques que nous ne pourrions jamais partager mais qui nous attire par leur délicatesse, non pas par la douleur qu’ils représentent.
Dans la dernière scène , le père et la mère se livrent à des gestes obsessionnels: le trauma s’est bien installé chez eux! Le couple répète les gestes qui expriment le caractère obsessionnel de la disparition du troisième membre de la famille. La maman prépare trois sandwichs, le père aligne trois jouets. La vie continue mais l’image du bébé disparu sera toujours fixé dans l’inconscient de ses parents. C’est à ce moment que le travail thérapeutique peut et doit commencer.
Une soirée à la fois triste et émouvante, selon l’expérience personnelle du spectateur. Avec Beauté, chaleur et mort , les deux auteurs/comédiens ont réussi à passer au-delà leur souffrance et à réfléchir sur la manière de faire un spectacle , avec leurs propres moyens de communication, pour réussir à faire le deuil de leur bébé.
Alvina Ruprecht
Beauté, chaleur et mort, une production du Projet Mû s’est joué du 7 au 10 décembre au Théâtre français du Centre National des Arts à Ottawa.
Publié pour la première fois sur le site www.theatredublog.unblog.fr