AmericanDream.ca: une vaste fresque en première mondiale, renouvelle la vision traditionnelle de la famille francophone
Photo Marianne Duval
AmericanDream.ca est la première mondiale d’une trilogie qui dure trois heures 40 minutes. En passant par des moments d’ennui jusqu’à la fascination la plus totale, le spectateur rencontre quatre générations de la famille Cardinal, un récit à la fois biographique et imaginaire qui accumule des fragments analogiques d’un narratif parfois difficile à suivre mais plein de rebondissements et des situations qui divertissent et qui émeuvent.
La très heureuse collaboration entre Claude Guilmain (auteur de théâtre et scénographe) et Louise Naubert (metteure en scène et comédienne) accompagnés d’une équipe d’acteurs, de musiciens et de techniciens, a abouti à un croisement entre un roman graphique, des sketches inspirés des séries télévisées, du théâtre musical, un roman policier et des monologues inspirés de la dramaturgie québécoise des années 1960. Michel Tremblay et Michel Garneau ne sont pas loin sauf qu’ils appartiennent à une autre esthétique scénique alors que cette famille Cardinal est issue du style Manga à la japonaise, dessins en noir et blanc, des fragments de visages, de jardins, de maisons, des bouts griffonnés dans un calpin d’artiste qui laissent des traces sur un ensemble d’écrans présentés sur les trois côtés de l’espace scénique, suspendus du plafond. Le tout est mis en valeur par un éclairage magique et les étapes d’une mise en scène bien orchestrée par Guilmain et Naubert. La scénographie nous renvoie à un monde de rêve au moment où les dessins projettés sur les écrans, s’évanouissent et les acteurs glissent doucement entre les pans de mur blancs, comme s’ils sortaient des pages blanches d’un livre. Ainsi, commence les multiples récits de toute cette famille, le passage fascinant de chaque génération à travers les grands moments de l’histoire américaine et canadienne déclenchés par le traumatisme fondateur de leur existence, l’assassinat de J.F.K en 1963,. Cet événement à l’origine de leur angoisse collective, tisse une toile d’existence essentiellement nordaméricaine sur un fond de dialogues fortement influencés par la télévision. Cette suite de sketchs contribue au lent tissage des liens entre les différents protagonistes et les multiples époques mais le style raccourci des échanges hérité de la télévision rend les rapports psychologiques problématiques puisque les protagonistes semblent se perdre dans la forêt visuelle de cette magnifique paysage de dessins.
Chacun cache ses souvenirs, ses vérités, alors qu’un silence pudique s’installe entre les frères, les sœurs et les couples qui rend les rapports humains difficiles. Toutefois, certaines interprétations ressortent. Depuis la mort du grand-père Joseph en 1971, qui avait disparu sans laisser de traces mais, dont la disparition était peut-être reliée à l’affaire J.F.K., Alain (Pier Paquette) le petit-fils du grand-père Joseph Cardinal, essaie de retrouver les liens entre son grand-père et cette tragédie politique qui ne cesse de le hanter. Sa recherche des origines de la famille devient une obsession qui mine sa vie personnelle. Pier Paquette, acteur passionné, marquée d’une colère tonitruante, passe des hurlements aux chuchottements. Il devrait tout de même articuler davantage ses moments de douceur pour qu’on le comprenne mieux du fond de la salle.
Les plaintes insupportables de sa femme Pat (la puissante Sasha Dominique) sont des cris d’un profond malaise, poussé par une femme de ce milieu qui ne supporte ni des enfants ni le sentiment d’être exclues des secrets de la famille. La mère Maude Cardinal (la délicate Louise Naubert) nous amène dans la salle d’attente d’un hôpital où l’auteur évoque le début de sa maladie et nous suivons les conversations des différents membres de la famille à différents moments de leur vie qui coïncident aux moments de grands événements de la vie nordaméricaine. La plupart du temps ils sont indiqués sur le plan visuels, (fragments de dessins, de clips journalistiques) mais ils ne touchent que rarement les protagonistes enfoncés dans leurs propres préoccupations. On remarque, cependant une étincelante Anie Richer engagée dans la guerre d’Afghanistan, Magali Lemèle qui cherche à définir sa propre voie dans le monde, et Bernard Meney (Claude) le frère mal défini mais qui fait rire. Enfin il faut dire que chaque acteur apporte sa propre voix, sa propre musique, son propre rythme, sa propre tonalité, sa propre tension dramatique pour enfin contribuer à la totalité de cette partition familiale.
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Les références sont multiples et elles insistent sur la portée nordaméricaine (et non québécoise) de leur existence devenue plutôt un cauchemar américain qu’un rêve : l’assassinat de Martin Luther King jr, la famille montréalaise qui s’enrichissait grâce à la prohibition et la vente de Whiskey pour nous replonger dans le monde des Bronfman, un modèle possible de réussite. Heureusement, le piano revient vers la fin avec le magnifique jazz sophistiqué de Gershwin (grâce au pianiste Philippe Noireaut) dont la résonnance provoque des larmes ! Quelle merveille !!
Les deuxième et troisième mouvements retiennent davantage notre attention parce que dès que les rapports entre les voix accumulent des détails, les liens se clarifient et nous pouvons enfin nous laisser emporter par le va et vient de cet énorme roman policier comme si nous étions pris dans une vague de plaisir infiniment plus grande.
Une production Théâtre la Tangente
Mise en scène de Claude Guilmain et Louise Naubert
Texte et scénographie, Claude Guilmain
Environnement sonore et musique, Glaude Guilmain
Lumière, Guillaume Houet
Costumes Louise Naubert
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