Les Femmes savantes de Molière, mise en scène de Denis Marleau.
Henri Chassé (Trissotin). Photo Stéphanie Jasmin
La salle du Théâtre du nouveau monde à Montréal ne peut rivaliser avec le Château de Grignon, les images élégantes de la belle terrasse qui donne sur la cour où Mme de Sévigné a passé les dernières années de sa vie. Néanmoins, Les Femmes savantes, réalisées à l’occasion des Fêtes nocturnes du Château (Drôme), s’est déplacée vers la scène montréalaise au mois de septembre et malgré le changement de lieu, la soirée est aérée, allégée, rafraichie, joyeusement ludique et d’une très grande gaieté . Nous ressentons le souffle vivifiant, quasi organique, de cette mise en scène! Quel immense plaisir cette version des Femmes savantes même dans la salle obscure du théâtre, rue Sainte-Catherine !
La scénographie évoque la cour du Château avec la balustrade et les terrasses qui donnent sur les jardins. Dans les premiers moments, l’arrivée de la famille au château est projetée sur le mur du fond pour nous donner un sens du lieu d’origine. La suite se déroule sur la scène du TNM près du du bassin où les intrigues tournent surtout autour du mariage arrangé entre Henriette (qui aime Clitandre) et le ridicule Trissotin, le poéte hystérique maquillé et vêtu comme une sorte de Jacques Cocteau ébouriffé. L’intrigue met en valeur les querelles littéraire de l’époque, l’enflement stylistique de la langue des Précieuses que Molière aimait bien démolir. Le tout, baigné d’une lumière du midi presque aveuglante, évoque une ambiance de fête, une œuvre du XVIIe dépoussiérée qui met en valeur la psychologie des personnages, grâce à cette écriture d’une finesse extraordinaire.
Nous étions surtout émerveillée par la manière d’aborder l’oralité du texte. Situé dans les années 1950, la mise en scène met en valeur un style vestimentaire qui donne aux personnages une plus grande liberté de mouvement. Et à cause de cela tout change. La gestuelle est émotive , les attitudes sont très physiques, et surtout l’articulation du texte est très contemporaine. Le texte de Molière reste intact même si on a l’impression qu’ils ont réécrit le texte, il n’en est rien. On est frappé par l’énergie de leur diction, la spontanéité apparente de leur expression affective, tout un travail d’énonciation qui donne l’impression que le texte a été retravaillé. Assez rapidement, on est séduit par le rythme des alexandrins au point où on ne les remarque même plus, tellement le débit paraît naturel! Voilà le comble d’une virtuosité verbale scénique qui nous rappelle le grand art des acteurs britanniques qui arrivent à « dire » Shakespeare comme s’ils parlaient naturellement sa langue. C’est la première fois que j’aie cette impression devant une œuvre classique française jouée au Canada. Une extraordinaire tour de force qui transforme cette soirée en pur plaisir.
Il faudrait aussi noter le jeu comique quasi farce de certains comédiens. Philaminte la mère était la caricature d’une « dévote » passé eu XXIe siècle. . Le père, Chrysale, à la limite de la bouffonnerie et du pathos tragi-comique du mari écrasé par sa femme, révèle aussi la direction d’acteurs ultra soignée, du metteur en scène. Le rapport d’équilibre entre la production de la parole et la respiration était importante mais surtout, nous avons pu repérer les moments d’esthétique scénique qui nous ramenaient vers les anciennes créations de cette compagnie montréalaise. La figure caricaturale de Vadius frôlait le style des anciennes aventures ubuesques de cette troupe qui a gardé le nom de leur inspiration « Ubu ». , les élucubrations comiques de Trissotin, les réponses du trio des femmes (Belise, Philaminte et Armande) qui se palment devant les merveilles stylistiques de ce « faux littéraire », tout nous rappelait l’ambiance de ces premières mise en scène à Montréal.
La critique est farouche, le texte pétillant, la mise en scène d’une modernité si reconnaissable au point où on se demande si Molière n’était pas le précurseur de Jarry!
Une belle aventure théâtrale, une soirée divertissante et une magnifique redécouverte du Poquelin. Molière. !
Les Femmes Savantes , Ubu compagnie de création, créées aux Fêtes nocturnes de Grignon, le spectacle continue au Théâtre du Nouveau Monde à Montréal jusqu’au 27 octobre, 2012. Tél. 514-866-8668.
Voir la version légèrement modifiée de ce texte sur le site : theatredublog.unblog.fr