“Reine Pokou”, dans une lecture de Françoise Dô
Mais qui est donc Pokou, dont nous découvrions ici, entre réalité et légende, le chemin de vie ? Tout d’abord une reine africaine, Abla Pokou, née au début du XVIII° siècle nièce d’un roi fondateur de la Confédération Ashanti du Ghana, et qui dut à la suite d’événements dramatiques engendrés par une guerre de succession(s), prendre la fuite, emmenant tel Moïse ses partisans à sa suite vers un autre territoire où demeurer, et ce fut la Côte d’Ivoire.
Abraham à la demande de son Dieu s’apprêtait à immoler son fils Isaac, Agamemnon offrit sa fille Iphigénie à la déesse Artémis afin que la flotte grecque puisse prendre la mer vers Troie, et Pokou, arrêtée par le fleuve en crue qui interdisait à ses fidèles l’entrée dans la terre d’accueil, sacrifia son fils unique, qu’elle jeta dans les eaux afin d’apaiser la fureur des esprits. Mais nul bélier, nulle biche ne vint se substituer à l’enfant par sa mère condamné ! Ainsi court le mythe, d’un monde à l’autre, d’une époque à l’autre, plaçant ceux-là, qui prétendent guider les peuples, face à de cruels dilemmes.
Que nous conte Véronique Tadjo ? La naissance privilégiée, l’enfance puis l’épanouissement d’une jeune femme vouée à connaitre la gloire et dans la gloire la souffrance. Le parcours de celle qui d’abord stérile se voit pour cela moquée dans son premier mariage. De la femme et reine qui, après plusieurs unions infructueuses trouve un jour son accomplissement dans l’amour et la maternité… Avant que d’affronter des vents contraires, avant que d’assumer ce à quoi les prédictions du Sage l’avaient prédestinée.
Que nous montre Françoise Dô ? Sa reine Pokou esquissée sur scène est une figure de femme libre et contrainte à la fois, forte et fragile, victime autant que bourreau. Femme antique et moderne qui traverse les temps, femme éternelle dans ses désirs et ses frustrations, dans sa complexité. Une complexité suggérée peut-être par ce choix de présenter dédoublée l’héroïne, Anne-Alex Psyché et Rita Ravier jouant en miroir l’une de l’autre, en écho l’une de l’autre, Françoise Dô endossant quant à elle le rôle du narrateur mais s’intégrant au jeu par la reproduction au lutrin des gestes de ses comédiennes. Aux voix s’ajoutent par intermittence les mains qui modèlent l’air tout autour et les mots, le cri modulé qui vient en une respiration soutenue déchirer l’espace, et la danse comme exorcisme, danse d’exultation ou de peine. De ces trois silhouettes à la féminité affirmée naît aussi l’émotion, en longues robes épurées aux couleurs de sable blanc, d’ocre et terre de paysage africain.
Il est à souhaiter que se poursuive l’exploration du texte plus ambigu de Véronique Tadjo. Le complément apporté au titre, « concerto pour un sacrifice », incite en effet à lire d’autres propositions faites par l’auteur dans son ouvrage, hypothèses émises sur ce qu’aurait pu être la suite de l’histoire, sur les motivations d’une reine aussi, mère qui se sacrifie à son peuple ou femme en recherche de pouvoir ? C’est sur une de ces suppositions que se clôt le jeu : que se serait-il passé si la reine (ni aucune autre femme) n’avait accepté d’offrir son enfant au fleuve ? Que serait-il advenu de ce peuple à présent nommé « Baoulé », ce qui signifierait « l’enfant est mort » ?
Souhaitons que par la magie de la scène la maquette se métamorphose bientôt en un spectacle accompli, puisqu’aussi bien « les fruits passeront la promesse des fleurs ! ».
Fort-de-France, le 27 juin 2018