Festival Mayo Teatral_ Habana XVI . Triunfadela, notre UBU cubain!

Festival Mayo Teatral_ Habana XVI . Triunfadela, notre UBU cubain!

Triunfadela, conception et mise en scène de Nelda Castillo, présenté à La Havane.

Ernesto Manuel Loupez

Photo: Ernesto Manuel Loupez. Comédienne: Mariela Brito.

Triunfadela ou la montée d’un Ubu cubain
L’incorrigible Nelda Castillo, cette artiste cubaine, qui a fondé la troupe El Ciervo Encantado, veut produire une réflexion sur les rapports entre l’art, l’histoire de son pays, les idées de l’ethnologue Fernando Ortiz, et les questions relatives au colonialisme et aux guerres de libération.
Au festival Mai théâtral XVI de la Havane où nous avons vu des spectacles de neuf pays hispanophones des Amériques, invités par la Casa de las Americas, elle a présenté deux spectacles: Triunfadela et Guan melón, tu melón. Elle revient au festival donc avec un portrait grotesque et dévastateur d’un chef politique dont le discours faite esclaffer tout en produisant les ondes de choc a peine croyable, tellement le regard du metteur en scène est juste. Pourtant le texte s’inspire des articles de journaux, des discours authentiques, des photos et des films officiels. Rien n’est transformé, rien n’est modifié d’où la surprise et le malaise.
« Triunfadela » est composé de deux mouvements. Dans un premier temps nous suivons une parodie du réalisme socialiste par le cinéma avec Alfred Jarry et Brecht à l’appui, où la metteure en scène s’inspire les documents authentiques : discours des ouvriers lors des rencontres de travail un peu réorganisés pour créer un effet d’aliénation, des bruitages urbains, des marches, la musique officielle et une bande sonore hétéroclite qui évoque le héroïsme de l’ouvrier. . Nelda a recours à un film tourné en 1970 sur le lieu d’une entreprise située en face de son théâtre sur le Calle 18, lieu abandonné actuellement qui, à l’époque, fabriquait des carrosseries des Omnibus Giron à partir des châssis venus de l’Union Soviétique. Quelqu’un avait filmé les discussions très aliénantes entre les ouvriers contre un arrière-plan de bruitage chaotique en ajoutant des sous-titres en anglais encore plus chaotiques puisque la grammaire et la syntaxe n’étaient pas respectées . Le montage bizarre et chaotique de morceaux de discours, mêlées aux bruits de la rue avec musique officielle, constituent une bande-son hétéroclite qui évoque l’héroïsme des ouvriers. Il était réalisé par le département-son de l’Instituto Cubano del Arte e Industria Cinematográficos, créé en 1959, deux mois après le début de la Révolution. Des sous-titres dans un mauvais anglais, vide de sens ont été ajoutés, et le tout finit par tomber dans le ridicule le plus absolu…

Ensuite, une fois le film terminé, on voit arriver sur le plateau, entre deux rangs de spectateurs, une créature ubuesque et monstrueuse, jouée par Mariela Brito complètement transformée pour le spectacle. La visualisation semble reprendre des éléments de « Sur l’inutilité du théâtre au théâtre » (1896) publié par Jarry au moment de la création d’Ubu roi et le discours sur le théâtre, prononcé par Jarry à la même occasion où il remet en question l’illusion réaliste à la scène qui ne peut que réconforter les plus médiocres. Ubu, une « figure ignoble », selon Jarry, d’origine shakespearienne (Macbeth pour tout dire !) est le point de départ d’une parodie politique dans un pays qui n’existe « nulle part », un personnage. Qui parle de la « phy »nance, la physique et la Merdre. Les parallèles avec « Triunfadela » sont surprenants et la démonstration est parfaite.
Vêtue d’un uniforme militaire un peu malmené, un sceau sur la tête en guise de coiffe militaire, les yeux grands ouverts encerclés de noir pour mettre en évidence son regard de hibou qui surveille sa proie, notre « Ubu cubain » arrive. Surtout son gros ventre supporte deux micros attachés à la ceinture pour mieux capter son « discours » fabriqué de grognements, de ronflements, de hurlements, de grincements et de gargouillements tous sortis de cette petite tête effarante qui tourne à droite et à pour créer l’illusion d’une figure humaine qui nous a sous l’œil. Encore plus surprenante, la totalité du discours de « Triumfadela» consistait en des articles tirés des quotidiens cubains (Granma et Juventud Rebelde) sans le moindre changement. La réaction du public devant cette figure démagogique apparemment ridiculisées par un texte pris tel quel dans la presse, était intéressante puisque le public paraissait inquiet, se demandant s’il avait mal compris quelque chose. De plus en plus hypnotisé par cette figure grotesque, bête et méchante, les spectateurs ne semblaient plus savoir, s’il fallait rire ou se taire. La dramaturgie de Triunfadela, sans structure narrative, participe d’une suite de mots-clefs isolés et attirants par leur sonorité et leur rythmique qui traduisent bien la vision très critique qu’a El Ciervo Encantado, concernant les leaders qui manipulent les foules.

Triunfadela, travail courageux et original d’un esprit libre , le modèle d’un chaos créateur et d’une poétique de l’ambiguïté à la fois inquiétante et divertissante, où le message passse très vite.

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