Visiones de la Cubanosofia. le nouveau théâtre cubain.

Visiones de la Cubanosofia. le nouveau théâtre cubain.

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La Reina de la Fritanga. Photo: Nelda Castillo, Teatro del ciervo encantada

Le spectacle,   présenté au théâtre La Capilla dans le quartier El Vedado de la Havane,  est   réalisé par la troupe El ciervo encantada,  sous la direction de Nelda Castillo.  Sur une petite scène, on observe une série de tableaux–chocs qui représentent une vision extrêmement personnelle  de  l’histoire cubaine. Les figures métaphoriques, les unes plus grotesques que les autres émergent sur un échafaudage  à  deux niveaux, Cette incarnation scénique  d’une hiérarchie sociale à la manière de Piscator,  confirme  la barbarie des colonisateurs dans une ambiance explicitement théâtrale.

Première image, une  immense statue de la vièrge en poupée resplendissante  placée au sommet de cette structure.  Elle est  enveloppée de velours,  de dentelles et  de couleurs brillantes. Encastré dans cette figure de poupée-vierge, un visage pâle presque humain, s’éveille et ouvre les yeux au moment où on entend le tintement des  clochettes et la musique sacrée cubaine qui annoncent le début d’un nouveau rituel pervers. Voici la première étape de ce rituel désacralisé, la  “Cubanosophie!”, dont la dynamique essentielle est le calvaire et le martyr d’une nouvelle figure christique, José Marti. La figure  d’une vierge  androgyne à la  longue barbe noire, aux  gros yeux noirs, à la bouche édentée circonscrite de lèvres rouges et au regard de plus en plus diabolique, se lance dans une diatribe violente et haineuse. Ses  grognements, ses hurleme  évoquent  les derniers râles d’un vieux  en train de mourir, alors qu’elle  parle au nom d’une église  méchante,  raciste, et colonisatrice, avant de s’évaporer dans les coulisses.

La dramaturgie en forme épisodique,  inspirée plutôt des extraits en prose ou en poésie des auteurs cubains tels que Fernando Ortiz ou de Reinaldo Arenas entre autres, est captée par des présences corporelles qui évoquent une suite de tableaux  historiques.

Par exemple, un personnage souriant et habillé en rose fait une apparition énergique en rigolant. Les  dentelles, les chaussures pointues,  le visage blanchi à la poudre, et le chapeau panache évoquent la cour d’Espagne du XVIIe siècle. Cette figure renvoie  également aux touristes modernes avec leurs appareils de photos, le  regard un peu naïf  et condescendant devant les pauvres indigènes  qui “mangent bien”  et “s’amusent dans les champs de canne”. Cette nouvelle histoire de Cuba associée aux rituels transgressifs situés dans un espace-temps  où  passé et présent sont téléscopés,  évoque certainement  une critique de l’actualité -  à la fois une vision grotesque de la colonisation et une  remise en question transgressive des pratiques contemporaines, sans pour autant remettre en question le système politique.  À vrai dire,  la directrice artistique Nelda Castillo  joue à la limite des choses.  Tout est désormais possible dans ce théâtre qui masque ses propos et produit une ambiguïté  riche en significations. Les images sont féroces, la colère est évidente et le travail corporel de ces trois  acteurs est fascinant.

Devenus des objets obéissants minucieusement  chorégraphiés, ils adoptent  une gestuelle, un bruitage vocal et une manière de tordre le regard et les membres pour se transformer en présences à peine humaines.  Cet imaginaire visuel déforme les images iconiques du pays  pour transformer une figure typique, telle que celle de la  Reine de la Fritanga en monstre d’abjection.  Cette  femme maigre, dont les bras et le visage sont recouverts  d’égratignures, de  taches noires,  de marques de  violence, surgit sur la scène et essaie de nous ‘plaire’.  Une peau grisâtre et vieillissante recouvre un  visage dont les grimaces trahissent une immense douleur. Pourtant, elle est la reine de la Rumba, de la Salsa, des défilés du carnaval, mais il s’agit d’une jouissance physique et chaotique néée  dans la douleur et l’horreur de l’oppression.

Et voilà que  parmi ces figures grotesques et caricaturales, se dessine le corps à moitié nu de Marti,  accroché aux bâtons de canne  croisés, comme un homme  crucifié. Cette figure reste  impassible et silencieuse. Il n’y a que  le souvenir de ses gestes, et de ses souffrances auprès du public qui puisse évoquer l’essence du  personnage.   Marti  grimpe péniblement jusqu’au niveau supérieur de l’échafaudage  où il se redresse, comme un grand homme d’état, à côté de la figure de la vierge, toujours  hurlant son message  délirant  comme un vieille folle.

  L’image du calvaire de Marti est puissante. Ce spectacle, ancré dans un jeu très discipliné, a permis, paradoxalement,  la libération du corps et de l’imaginaire. Voilà ce qui donne tout le sens au spectacle. En effet,  au delà de  toutes les attentes d’un  réalisme contraignant,  ils ont réussi à dépasser la scène, à dépasser l’histoire récente, et à  remettre tout en question sauf la grandeur de Marti qui plane sur un monde où son message aurait peut-être été oubli.

 

Visiones de la Cubanosofia  est présenté   par la Compagnie  Le Cerf enchanté au Théâtre la Capilla (Vedado) à la Havane,  Cuba.

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