Thierry Gibault dans Une trop bruyante solitude,  assume tout le poid tragique de l’humanité : une prestation inoubliable

Thierry Gibault dans Une trop bruyante solitude,  assume tout le poid tragique de l’humanité : une prestation inoubliable

Thierry Gibault.  Photo: courtesy of Theatre de l'Incendie, Paris
Thierry Gibault.
Photo: courtesy of Theatre de l’Incendie, Paris

Une trop bruyante solitude  de Bohumil Hrabal, a paru à  Prague en 1976  sous forme d’une publication clandestine mais il a rapidement circulé  en une dizaine de langues . Cette adaptation récente en français, en forme de monologue, par le metteur en scène  Laurent Fréchuret  fut montée  par le Théâtre de l’Incendie et jouée par Thierry Gibault.  Le spectacle,  actuellement au Théâtre  de Belleville à Paris, sera repris en Avignon cette année au théâtre des Halles d’Alain Timar .  Cette  expérience scenique nous montre que le texte n’a rien perdu de son actualité.

 Un vrombissement inquiétant,  un claquement de câbles, l’écho d’une  mécanique féroce annonce le réveil d’un nouveau “Métropolis” quelque part dans l’obscurité.  Les effets de bruitage  nous frappent dès le début. Soudain, une  seule ampoule s’allume   au bout d’un fil  suspendu du plafond.  Elle  éclaire  le visage d’un homme  dégoulinant de sueur, et tâché d’encre.  Puis le corps entier de l’acteur émerge  d’un nuage de poussière  épaisse  pour révéler  un homme  pris comme un rat dans la saleté d’un trou noir.  On a presque de la nausée. .

 Voilà Hanta , celui qui a passé trente-cinq  ans de sa vie enfoui dans ce lieu sombre,  sans fenêtres,  en compagnie de sa presse mécanique  ronflant  doucement comme un  monstre  en état de veil, conçu  pour broyer   des tonnes de détritus et cracher du papier  condamné au recyclage . Dans cette  masse de feuilles réduites a des tas de crasse, se retrouvent  des œuvres fondatrices des grandes civilisations du monde.    On pourrait dire  que Hanta et sa presse  participent  à la solution finale  de la culture du monde  sauf  que Hanta possède une âme de  poète ;   il est curieux et il aime lire. La propagande des pouvoirs  en place n’ont pas réussi à éradiquer  sa soif d’apprendre. Toute la différence est là.  Les yeux de l’acteur   brillent d’une lueur étrange et le monologue  prend des allures d’un délire total.

Hanta  accumule  la poésie, la philosophie,  les œuvres de Schiller, de Nietzsche,  de  Shakespeare, ainsi que le Talmud, Le Koran et la Bible. Tout cette lecture l’étourdit  et l’exalte mais  en fin de compte l’homme sorti de l’ombre est assourdi par  le grand murmure de ces bruits du  monde  dans la solitude bruyante de  son lieu souterrain.  Voila cet héros de l’ombre en proie aux  hallucinations, aux   fantasmes, et aux  perversions de la mémoire familiale qui ressurgissent de cette figure solitaire et pitoyable.   L’acteur , devenue une figure emblématique de l’abjection   dans le  pénombre,  évoque une victime de torture, ou bien  le personnage  de “k”  poursuivi par les ombres du pouvoir  voire même l’immigrant de Koltès rattaché à la voie ferrée, hurlant sa frustration.   

Thierry Gibault  assume magnifiquement son texte lorsqu’il incarne ce  personnage illuminé par sa “mission”, soit sauvegarder l’humanité au bord de la destruction et refaire le monde a sa manière.   Son jeu  rassemble  le comique, le grotesque et la tristesse  assortie d’une vision profondément  tragique  devant toutes ces forces totalitaires qui pensent que la modernité possède les clefs de  sa propre destruction. Le principe de base ici est effrayant mais Gibault  apporte une grande dignité au personnage et nous mène très loin.

L’acteur  livre des moments du comique « stand up ,  des  récits d’un réalisme fulgurant en passant par  le grotesque le plus pur.  C’est sa manière de  dessiner  l’histoire du monde contemporain d’une perspective plus actuelle. Il passe du monde totalitaire  tâché de matière  fécale, vers une modernité aseptisée  qui met fin à la contestation  ouvrière  en transformant  les êtres humains en  esclaves robotisés.   Les paradoxes abondent puisque Fréchuret  a su garder la  forme essentiellement  poétique du Hrabal.  L’acteur  capte l’envolée spirituelle  de cet homme qui est à la fois poète et  esprit délirant.  Au départ une  poubelle humaine  qui  ramasse le détritus des dictateurs mais qui est en fin de compte englouti physiquement  par ses tonnes de papiers qui n’ont jamais arrêté de l’attirer. L’acteur capte avec brio des envolées mystiques, des hallucinations dignes d’un film expressionniste, des glissements  vers un hyperréalisme bouleversant, toutes les nuances d’un jeu à la fois beau et terrifiant mais tout simplement remarquable. 

Tout en étant parfaitement séduit par  la prestation majestueuse de Thierry Gibault, on ressent par moments que les multiples transitions entre les ruptures stylistiques ne sont pas toujours résolues d’une manière satisfaisante.  Par moments,  la magie  ne prend pas et le grotesque perd son intensité. . Peut-être des insuffisances momentanées de la mise en scène ou des coupures trop radicales dans le texte qu’il faudrait recoudre?   L’ensemble reste néanmoins  envoûtant et le résultat est un  moment de très grand théâtre . 

 La pièce  sera reprise  à Avignon off du 7 au 30 juillet au Théâtre des Halles à 16h30.  Numéro de réservation : 04 32 76 24 51.

Alvina Ruprecht

CTCA, Association régionales des critiques de théâtre de la Caraîbe

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