Mary Prince

Mary Prince

mary_prince_serieuse_bis (1)Mary Prince
Mise en scène d’Alex Descas
Interprétation de Souria Adèle
Traduction et adaptation d’Emma Sudour et Souria Adèle.

Le paradoxe de ce monologue intense entre deux acteurs caractérise cette production de Mary Prince, le récit d’une femme esclave, originaire des îles anglophones de la Caraibe qui raconte la lutte pour son émancipation à partir du moment où elle arrive en Angleterre. Premièrement, il y a Souria Adèle, la comédienne qui incarne Mary Prince. Son jeu nous fait oublier le personnage comique créé par Mme Adèle (Marie-Thérèse dans Négresse de France) la femme flamboyante « au gros bonda » qui faisait rire les salles entières à Avignon. Mary Prince partage la scène avec le metteur en scène l’acteur Alex Descas (sa première mise en scène d’ailleurs) pour transformer cette rencontre avec la comédienne en véritable dialogue d’acteurs qui trahit un échange chargé d’émotion sur la manière de capter ce personnage, sans nous faire patauger dans le misére pathétique. Mary Prince est, après tout, une femme très forte et la comédienne saisit cette force tout en insistant sur un jeu intériorisé, un ton sobre et un corps presque effacé. Dans cette ambiance de lecture extrêmement raffinée, Mary Prince s’épanouit lentement, doucement et avec beaucoup de pudeur puisque le metteur en scène a pu se se mettre dans la peau de cette esclave qui aborde le récit de sa vie dans tous les détails les plus douloureux les plus honteux, les plus intimes .

Les descriptions sont d’autant plus insupportables, que les expériences sont vraies. La femme décrit ce qu’elle a vécu pour obtenir son affranchissement et pour transmettre aux Européens (surtout aux Anglais puisque de tels récits d’esclaves n’existent pas en français) la vérité de l’esclavage. Il fallait démentir les mensonges de ceux qui affirmaient à l’époque où les discours abolitionnistes effaraient les propriétaires des plantations, que la réalité de l’esclave n’était pas si mal que cela. Voilà que l’accumulation de détails finit par nous faire rentrer dans son univers cauchemardesque de torture, de punitions sanglantes, de cruauté , de violence, et de perversions inimaginables qui dénaturent les propriétaires, autant que les objets de leur sadisme. C’est pour cela que les deux complices semblent avoir choisi le parti pris de ne pas permettre au jeu de rivaliser avec le texte. Absence de grandes émotions, absence de sentiments trop évidents. Il fallait laisser parler le texte qui est en soi tellement puissant que la pudeur de ce jeu contribue à mettre en valeur la véracité du récit. Tout contribue à dédramatiser la représentation spectaculaire : le plateau dépouillé, l’éclairage d’Agnès Godard qui saisit le passage du temps par les moments d’obscurité, où les ombres transforment la femme en revenant de l’histoire.

Souria Adèle est là devant nous, une femme blessée dans son corps et son âme. Elle bouge à peine. On dirait presque l’incarnation d’un témoignage malaisé et tout à fait authentique devant un tribunal, la voix qui profère un texte dont la publication en Angleterre en 1831, a joué un rôle fondamental dans l’abolition de l’esclavage aux colonies. On regrette cependant qu’elle n’ait pas pu montrer plus explicitement le bonheur de son personnage libéré, la femme qui se ressaisit et finit par obtenir son affranchissement. En effet, la dernière image, celle de la femme réduite à l’impuissance semble être l’erreur la plus flagrante de son jeu. La comédienne n’a pas pu nous transmettre l’image d’une femme enfin libre ce qui fausse la conclusion de son histoire. Néanmoins, ce spectacle « témoignage », dépasse les tendances d’une forme de théâtre actuelle qui illustre les rapports de vérité et réconciliation, mettant les anciens bourreaux face à leurs victimes. Ici, le public n’est pas convié à un discours conciliateur mais plutôt à une lutte pour la survie dans des conditions les plus effroyables qu’un être humain puisse endurer. Raconté de cette manière, le récit de Mary Prince dépasse le personnage et contribue à éveiller les consciences devant tous les génocides et les atrocités à travers l’histoire de l’humanité, y compris ceux qui continuent dans le présent. Il faudrait féliciter cette petite équipe de créateurs qui a su atteindre une telle vision du monde par le théâtre .

La Compagnie Man Lala à la Manufacture des Abbesses, 7, rue Véron, Paris 18ème jusqu’au 22 mars. Tél. 01-42-33-42-03

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