« Le serviteur de deux maîtres » renouvelle le jeu corporel sans trahir l’esprit de Goldoni. Une très belle soirée dans le parc Strathcona.

« Le serviteur de deux maîtres » renouvelle le jeu corporel sans trahir l’esprit de Goldoni. Une très belle soirée dans le parc Strathcona.

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Photo: Barb Gray.   Zack Counsil (Brighella)  et Jesse Buck (Truffaldino)

La compagnie Odyssey qui fait revivre le théâtre de la Commedia dell’arte au Canada anglophone depuis trente ans, remonte aux sources de la troupe en présentant cette nouvelle version de Le serviteur de deux maîtres de Carlo Goldoni.

L’intrigue et les sous intrigues sont d’une grande complexité. Truffaldino, le serviteur du titre, est au service de Florindo, l’amant de Béatrice, et de Federigo le frère de Béatrice. Tout se complique lorsque nous apprenons que Clairice (la fille de Pantalone) qui aime Silvio (le fils du Docteur Lombardi) est promise à Frederigo , le fiancé décédé depuis longtemps. Celui qui se présente à sa place est sa sœur Beatrice travestie , ce qui ajoute du piquant aux relations tempétueuses qui bouleversent ce microcosme de la société vénitienne. Le tout devient rapidement une accumulation de malentendus, de jeux d’identités, et d’intrigues secrets. Truffaldino qui a juré de respecter l’anonymat de ses deux employeurs, provoquent des rencontres spectaculaires, rocambolesques, chaotiques qui frôlent la farce la plus pure. Le rythme de ces orchestrations physiques qui font courir les serviteurs, les maîtres et tout le personnel de l’hôtel, coupent le souffle, surtout lorsque  Zack Counsil (Brighella) s’envole avec la legerete  d’une plume. Le masque a fait vivre son personnage!  Une belle prestance .

 

Sean Sullivan (Pantalone) et Lynne Griffin (Docteur Lombardi) était le duo comique le plus dynamique qui nous renvoie à la comédie du cinéma muet et Florindo captait les mouvements d’un parfait dandy. Le travail d’ensemble, grâce à Massingham était délicieux, captivant et parfaitement rodé. De tels moments de mise en scène dont devenus de grandes envolées comiques qui, déjà évoqué dans le texte de Goldoni, ont certainement bénéficié de l’influence contemporaine du cinéma muet au début du XXe siècle.

Sous la direction d’Andy Massingham, cette conception scénique représente l’évolution moderne d’une pratique corporelle qui a connu ses origines en Italie au cours de la seconde moitié du XVIe siècle en s’inspirant du style de la foire populaire, d’un jeu grossier et délicieusement vulgaire avec ses arguments, son jeu masqué, ses types, ses lazzi , la rencontre de dialectes italiens qui ont chacun leur signification et ses intermèdes comiques . Goldoni (1783) a apporté à la Commedia du XVIIIe un goût plus raffinée et une substance psychologique plus profonde ce qui a resitué le jeu autant sur le corps que sur l’intrigue et les personnages. La perspective canadienne y a apporté une substance comique teinte de pathos et de tristesse, surtout en ce qui concerne le protagoniste  Truffaldino, écrasé par la servitude mais follement amoureux de la soubrette, la belle Smeraldina qui allume les hommes sans la moindre hésitation.

L’équipe d’Ottawa qui joue toujours en plein air, a bien mis en évidence le fait que de nos jours, l’adaptation théâtrale, tout en respectant l’esprit de Goldoni, ne peut être une imitation servile de l’original. Ce point de départ ouvre la voie à une énorme créativité scénique qui englobe toutes les possibilités corporelles de l’expression comique et affective de l’actualité, où le cinéma muet, la musique populaire, le tango et l’opéra jouent un rôle aussi important.

Rapidement, Truffaldino (Jesse Buck) s’est libéré des conventions du clown du Cirque du Soleil, où il s’est entrainé pendant des années, pour incarner un acteur possédé par toutes les formes de jeu populaire imaginable inspiré du comique et du mélodramatique. Ce corps masqué, maigre, léger et souple, opère une véritable transformation du pauvre Zani qui passe du désespoir amoureux à une danse folâtre avec Brighella l’hôtelier masqué. La course quasi hystérique du valet pour éviter que les deux maîtres ne se reconnaissent est lancée lorsque les deux Zanis tentent d’accommoder les deux maîtres simultanément en leur apportant leurs repas aux coins opposés du restaurant.

Les bouteilles de vin s’envolent dans tous les sens, le pain saute du panier , les plats glissent d’une main à l’autre et le public se tient le souffle dans l’attente d’une collision catastrophique. Mais la machine était bien huilée, le timing était calculé à la minute près et ils ont évité le pire. Une mise en scène extraordinaire!

Par ailleurs, les vieillards (Pantalone et le Docteur) mènent leur duo comique de Laurel et Hardy; la soubrette Smeraldina (femme de chambre de Clarice) une danseuse extraordinaire, et Florindo le jeune dandy, s’amusent en parodiant l’opéra comique pour mettre en valeur le rôle important joué par la musique de toutes origines. Cette lecture de Goldoni semble être bien ancrée dans la globalité de la nouvelle conscience européenne ou américaine, alors que la langue anglaise est devenue un parler populaire pour remplacer les dialectes de Venise, de Turin et de toutes les régions italiennes évoquées par Goldoni. Le résultat est un vrai pot-pourri culturel et joyeux.

Les beaux costumes semblaient croiser toutes les époques alors que les quatre masques magnifiques signalaient les différences de classe, et les pratiquables  peints en couleurs brillants et facilement déplacés par les acteurs, évoquaient des espaces de jeu : le jardin, la ville et les rues de Venise au bord des canaux. Ce monde de fantaisie qui délaissait la vulgarité de la Commedia, se rapprochait davantage de l’opéra-comique, où la musique de fond de diverses origines a eu une fonction extrêmement importante. La troupe a retrouvé un style qui pourrait devenir un modèle du genre, lorsqu’on passe d’une époque plus éloignée vers une temporalité plus moderne. Le serviteur de deux maîtres continuent jusqu’au 21 août et passe dans tous les parcs de la ville d’Ottawa.

Texte de Carlo Goldoni

Mise en scène d’Andy Massingham,

Scénographie et masques Jerrard Smith

Costumes Vanessa Imeson

Lumières Ron Ward

Musique Steven Lafond

Combat scénique Zach Counsil

Voir l’horaire des spectacles. http://www.odysseytheatre.ca/index.php/events/theatre-under-the-stars/performance-schedule/

Distribution :

Pantalon Sean Sullivan

Clarice, sa fille Maryse Fernandes

Docteur Lombardi Lynne Griffin

Silvio, son fils Adam Sanders

Béatrice, en habit masculin, sous le nom de Federigo Rasponi Sarah Finn

Florindo Aretusi, turinois, amant de Béatrice Joshua Wiles

Brighella, hôtelier Zack Counsil

Sméraldina, femme de chambre de Clarice Dana Fradkin

Truffaldino valet de Béatrice et de Florindo Jesse Buck

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