Cap Excellence : Quand la scène théâtrale tend un miroir à la société.

Cap Excellence : Quand la scène théâtrale tend un miroir à la société.

Succédant à ce qui fut le Festival des Abymes, Guadeloupe, la 6ème édition de Cap Excellence théâtre, organisée à l’initiative de la communauté des trois communes Abymes, Baie-Mahaut et Pointe-à-Pitre, propose du 09 au 14 mai 2017 un programme autour du thème « La quête du mieux-être ».
L’observation de la programmation semble révélatrice de certains choix.
On constate, en premier lieu, une diversité liée à l’origine différente des compagnies (de Guadeloupe, de Martinique, de France et de Côte d’Ivoire). Une autre diversité est celle des lieux de représentations, situés dans différentes salles et établissements scolaires des trois communes. Ajoutons à cela une diversité évidente de formes, le festival proposant des représentations, des lectures, une déambulation et de nombreux ateliers pédagogiques.

Parallèlement à cette diversité symbolisant une volonté d’ouverture, un autre choix est manifeste : celui de la transmission et d’un ancrage. Ce n’est pas un hasard si le parrain de cette 6ème édition est cette année Harry Kancel, auquel Cap Excellence Théâtre a voulu rendre hommage. Harry Kancel est une figure bien connue de la scène guadeloupéenne pour avoir fondé en 1979, puis déclaré officiellement en 1985, « Pawol a neg soubarou », tout à la fois compagnie et Ecole de théâtre pour jeunes et adultes. Sa démarche, depuis l’origine jusqu’à sa dernière création, Monserrat d’Emmanuel Robles en 2015, s’est toujours manifestée à travers une réflexion ancrée sur l’histoire du lieu et son ancrage au sein de la Caraïbe.
Et ce n’est pas un hasard non plus si l’organisation de cette 6ème édition a fait appel, pour l’ouverture du festival, à Eddie Kancel, autre figure majeure du théâtre en Guadeloupe, dont l’activité remonte à 1985. Comédien, mais aussi auteur, metteur en scène et enseignant de théâtre, Eddie Arnell revendique un théâtre « métissé », mêlant texte, musique, danse, qu’il dit s’inscrire dans une démarche contemporaine. La création à laquelle nous avons assisté aborde le thème imposé à travers un questionnement : « Qu’est-ce qui fait courir l’Homme ? ». L’Homme avec une majuscule précise-t-il pour insister sur une réflexion qui se veut philosophique. En effet, cette quête du « mieux-être » ne se confond-t-elle pas avec une quête de l’Etre, qu’Eddy Arnell qualifie d’« effrénée », cachant un désir de toute puissance ? C’est cette interrogation que pose une mise en scène aux allures de happening qui va faire se succéder six personnages, chacun venant exposer son histoire personnelles face au public.
C’est d’abord une jeune fille exaltée aspirant à une « félicité » quasiment mystique. Puis vient le seul personnage masculin, botté et bardé de cuir, qui va matérialiser son aspiration à la domination en se hissant au sommet d’un dispositif scénique. Equipé de chaînes, ce dispositif, en forme d’échafaudage, permet une mise en scène évoquant tantôt la prison, tantôt une chambre SM lorsque s’y glissera une Salomé captive, jouée par Montserrat Castay. D’autres personnages féminins viendront à leur tour témoigner de leur vécu : une Haïtienne dont la vie n’a été qu’une suite de malheurs ; une femme battue, portant à la fois un voile de mariée et une corde au cou, symboliquement représentée par une cravate ; enfin un dernier personnage féminin, un peu caricatural lui aussi, qui incarnera une féministe, détournant le Code noir pour l’appliquer aux hommes. Le « métissage » de ce théâtre, où les acteurs ont participé au choix et à l’élaboration de leur texte, se situe à plusieurs niveaux, mêlant au besoin le drame et à la comédie.
Visiblement le public, venu nombreux, a apprécié cette présentation de personnages qu’il reconnaissait comme étant ceux que l’on peut croiser en Guadeloupe. Le Ciel, de son côté, s’est montré particulièrement clément, n’autorisant pas la pluie à venir entraver ce moment de partage et de communion collective… Afin de permettre qu’à travers les cris poussés par des personnages qui la représente, une société en souffrance puisse exorciser sa souffrance. Et se purifier de ses maux.

Scarlett JESUS, membre d’AICT, 11 mai 2017.

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