Author: Janine Bailly

Diplômée de l’École Normale de Nancy, j’enseigne le français et le théâtre, en France métropolitaine comme dans les départements d’Outre-Mer et dans des pays francophones, l’île de La Réunion, le Maroc, le Gabon, la Côte d’Ivoire, l’île de Martinique. Actuellement retraitée de l’Éducation Nationale, j’assiste chaque année au festival de Fort-de-France, au festival d’Avignon, ainsi qu’aux Rencontres Estivales du Théâtre du Peuple de Bussang, et parfois au festival international d’Almada au Portugal. Je contribue régulièrement par des comptes- rendus de théâtre à la publication électronique martiniquaise www.madinin-art.net.
Au Festival d’Almada 2023: portraits de femme

Au Festival d’Almada 2023: portraits de femme

    • La soumission à laquelle les femmes furent, au long des siècles, contraintes. La soumission à laquelle les femmes peuvent encore être forcées, selon le pays où elles vivent, la fonction qu’elles occupent au sein de la société, l’environnement politique, culturel, religieux qui est le leur : le théâtre, quand il s’inspire intelligemment de la réalité, sait la dénoncer, et cela sans exclure humour, poésie ni qualité littéraire.

Jogging, ou le théâtre comme agora, de et par Hanane Hajj Al

« Je suis un morceau de ce puzzle qu’est Médée », affirme volontiers Hanane Hajj Ali lorsqu’on l’interroge sur l’omniprésence de cette figure mythologique dans son “seule en scène”, une performance qui allie ses deux passions avouées, le théâtre et le jogging. Artiste, chercheuse et pédagogue, figure incontournable de la scène libanaise, elle se déclare citoyenne engagée, qui œuvre pour briser les tabous, les « tirer de sous le tapis » – sexe, religion, politique, le « triangle des Bermudes libanais ». Activiste convaincue, elle défend la liberté d’expression, la démocratisation et la décentralisation de la culture, dans un pays oppressif où toujours règne la censure.

Dans Beyrouth aujourd’hui sinistrée, sa ville qu’elle ne veut pas quitter, et dont elle partage les souffrances qui la ravagent depuis les événements de 2019, elle court pour, dit-elle non sans humour – car elle n’en est pas dépourvue, ce qui allège le propos dramatique – , elle court chaque matin afin de « prévenir le stress, la dépression et l’ostéoporose ». Courir est un rituel, le théâtre en est un autre : si Hanane est, ainsi que nombre d’actrices, hantée par le personnage de la Médée antique, elle s’est toujours refusée à endosser le rôle, tant elle jugeait impensable le fait de donner la mort à ses propres enfants. Mais un matin, les rêves dans lesquels elle se ressource en courant, et qui peuvent être songeries parfaitement érotiques, les rêves devenus cauchemars ont pris une couleur tragique. Son propre fils souffrant d’un cancer soudain, la terrible douleur de l’enfant déchirant alors son cœur de mère, elle a compris que, toutes, nous pourrions être, selon les circonstances, des “Médée” abrégeant par le crime ce qui nous deviendrait insupportable.

Alors, sur scène, entre imaginaire et réalité, entre comique et tragique, Hanane Hajj Ali nous conte ses “Médée” . De façon un brin parodique, la Médée fictive trahie par Jason, la magicienne maléfique, l’impitoyable tueuse de la mythologie grecque. De façon beaucoup plus grave et sérieuse, faisant sourdre l’émotion de son public, ses “Médée” réelles, libanaises et contemporaines. C’est l’histoire restée mystérieuse et controversée d’Yvonne, mère de famille qui, en 2009, assassina ses trois filles avant de se donner la mort. C’est le drame de Zahra, jeune femme traditionnelle, qui à la suite de l’homme aimé suivit un parcours religieux islamiste. Qui, après l’abandon de son mari, éleva seule ses trois fils en les prédestinant au martyre guerrier. La mort, ou le sacrifice, comme seul moyen d’échapper aux souffrances et violences de la vie. Dans cet esprit sera lue la très sensible lettre d’amour et d’explication qu’avant de se suicider, en 1941, l’écrivaine britannique Virginia Woolf destina à son mari. Voilée, dévoilée, les voiles que l’on met ou rejette, la perruque de même, les vêtements qu’on endosse ou défait, le maquillage appliqué ou fondu, le rire et les larmes, tout nous dit l’ambiguïté de nos existences de femmes.

Le dynamisme, l’énergie, la vitalité dont la comédienne fait preuve, elle les explique en disant « puiser dans la sève du sol à chaque catastrophe ». Pour avoir toujours la force de dénoncer et abattre les préjugés, sur les scènes de par le monde, au Festival Off puis In d’Avignon comme au festival d’Almada. Pour dénoncer les stéréotypes dont on charge les femmes dans le monde arabe. Pour rendre hommage aux femmes libanaises, aux mères libanaises, et à Beyrouth. Telle est l’ambition reconnue de Hanane Hajj Ali, et il faut dire qu’elle réussit dans cette entreprise généreuse, humaniste, quand bien même, selon ses propres dires, « si le théâtre ne change pas le monde, il aide à changer les esprits » !

P.S : il est possible après le spectacle de se procurer le texte du monologue, en arabe, anglais et français, pour « aider à la liberté d’expression au Liban ».

J.B, Almada, le 10 juillet 2023

la source de ce texte est Madinin Art

Congo Jazz Bande!!!

Congo Jazz Bande!!!

Congo Jazz Band, pour écrire, dire et jouer les vérités qui font mal

— par Janine Bailly —

« Aucune des nations colonialistes n’avait une approche humaine ». Que dire alors lorsqu’un homme seul se déclare indûment propriétaire de ce vaste territoire qu’est le Congo ? Qu’il se donne sur les millions d’hommes qui le peuplent droit de vie et de mort ? Mohamed Kacimi et Hassan Kassi Kouyaté ont choisi ce pays d’Afrique, devenu la RDC, République Démocratique du Congo, pour nous parler du sort qui fut celui de tout un continent, lors que se le disputaient les “grandes” puissances européennes ; mais pourquoi le Congo plus spécialement ? Parce qu’il « cristallise toute la barbarie coloniale », esclavage, exploitation, travail forcé, dépouillement des richesses et des identités, négation même du statut d’être humain… que la conquête blanche y fut mythifiée en « mission de bienfaisance ».

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À Bussang, la nécessaire transgression de Suzy Storck.

À Bussang, la nécessaire transgression de Suzy Storck.

 

De Magali Mougel : « Suzy Storck » et  «Lichen »

De tous les spectacles vus cet été, il me restera indélébile, comme un souvenir stupéfait, les images, la colère et les mots de « Suzy Storck », une pièce écrite par Magali Mougel, jeune dramaturge rentrée au bercail après diverses pérégrinations. Bien lui en prit puisque Simon Delétang a choisi de la mettre en lumière, aux côtés de Calderón de la Barca, renouant par-delà le temps avec la « tradition Pottecher », qui voulait voir chaque année en ce théâtre une production dramatique du cru. Mais non content d’assumer la mise en scène, le directeur du Théâtre du Peuple a décidé d’être présent sur le plateau, aux côtés de ses trois acteurs incarnant Suzy, sa mère et son mari, pour y tenir à lui seul le rôle du chœur. Grave et noir choryphée de lui-même, et sans émotion apparente mais adoptant le ton, la posture et le costume sombres de la tragédie, il commente les faits, guide notre appréhension et notre compréhension de l’histoire.

Car Suzy Storck, personnage éponyme, est bien l’héroïne d’une tragédie ordinaire, mais qui n’a de banal que l’apparence. Sur la scène une machine à laver, mobile, dont seront extirpés quelques éléments de costume nécessaires à la figuration, et dont la présence se justifiera d’autant mieux que Suzy à un moment déclarera n’être pas cet appareil ménager, symbole du rôle auquel on voudrait la contraindre. Le terril de linges colorés dressé côté cour n’en semble que plus cohérent, qui deviendra aussi la couche où accrocher, se donnant le dos, le couple de Suzy et Hans Vassili Kreuz embourbé dans son incompréhension et son impossibilité nocturne à communiquer.

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Le Théâtre du Peuple, entre obéissance et transgression/ La vie est un rêve , de Calderon de la Barca.

Le Théâtre du Peuple, entre obéissance et transgression/ La vie est un rêve , de Calderon de la Barca.

Au bourg de Bussang, quand je sirote mon café matinal au seul petit bar du coin, qu’à l’heure de l’apéritif je me mêle incognito aux buveurs du soir pour un vin d’Alsace obligé, je m’émerveille d’entendre parler théâtre, de trouver là ornant le mur un portrait au fusain d’Antonin Artaud ; d’apprendre qu’il fut autrefois dessiné par cette jeune femme au comptoir : entre douceur et autorité, elle règne autant sur les « natifs » du lieu que sur les « étrangers », amateurs de théâtre venus de nombreux « ailleurs » rejoindre la population locale dans sa ferveur inchangée pour la scène. Car telle est la magie de Bussang, qui vit naître et croître et perdurer le Théâtre du Peuple, qui sur des gradins de bois assez peu confortables si l’on ne s’est pas muni du traditionnel coussin de l’année, réunit des publics issus d’horizons divers, réalisant cette belle utopie d’un « théâtre pour tous ».

Cette année, Simon Delétang pour sa deuxième saison estivale a choisi de surprendre, en proposant deux pièces très différentes, et pourtant proches en ce sens qu’elles posent l’une et l’autre des questions essentielles. La « grande pièce », celle qui incarne la tradition, se donne en matinée, offre en raison de sa durée la respiration d’un entracte, se doit de rassembler acteurs de profession — au nombre de trois cette année —, comédiens amateurs et figurants choisis dans la population locale. Le metteur en scène est tenu également de faire qu’à un moment de la représentation s’ouvrent les hautes portes de bois qui ferment le fond du plateau, et disons-le, c’est aussi un peu pour cet instant si particulier que l’on se retrouve chaque été fidèle à Bussang.

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Almada 2019: De quoi sommes nous faits? Dakar-Paris. Collaboration danse/musique Opéra-Rock riche de sens!

Almada 2019: De quoi sommes nous faits? Dakar-Paris. Collaboration danse/musique Opéra-Rock riche de sens!

Une des qualités du festival d’Almada, et non des moindres, est de faire se rencontrer, sans avoir aucunement à craindre la comparaison, le théâtre lusophone dans sa contemporanéité et les théâtres différents venus d’autres pays, théâtres émergés d’autres continents, certains nous disant être pour la première fois invités hors de leur pays d’origine. Ainsi la proposition « Do que é que somos feitos ?!, De quoi sommes-nous faits ?! », nous est offerte par la « Compagnie 1ER Temps » originaire de Dakar et jointe à la « Compagnie ABC » de Paris. Une création riche de sens, et qui comme tout bon spectacle, ne se donne pas dans l’instant à comprendre tout entière.

La danseuse Clarisse Sagna, le guitariste Press Mayindou, l’écrivain et pédagogue Kouam Tawa, le danseur chorégraphe Andréya Ouamba composent, sur la mise en scène de Catherine Boskowitz, une sorte d’opéra-rock baroque et déjanté pour nous parler de choses graves et sérieuses, du Congo ou du Sénégal, pour nous dire l’Afrique comme elle va, nous dire aussi le monde dans toutes ses blessures mal cicatrisées comme dans ses problèmes actuels, montée des extrêmes-droites, émergence de nouveaux dictateurs, obéissance aveugle des peuples…

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Theatre festival at Almada covered by Janine Bailly (Martinique) Primo Levi (Si c,est un homme) et Joana d’Arc

Theatre festival at Almada covered by Janine Bailly (Martinique) Primo Levi (Si c,est un homme) et Joana d’Arc

« Si c’est un homme » (Se isto é um homem) & « Jeanne d’Arc » (Joana d’Arc). Des monologues

— Par Janine Bailly —

Le festival d’Almada ne se limite pas à une forme de spectacle, mais se déploie de la performance exceptionnelle abondamment commentée et saluée d’Isabelle Huppert, dans Mary disse o que disse, jusqu’à des créations plus intimes, pièces sans afféteries, sans déploiements excessifs de décors ni vidéos projetées, mais extrêmement belles, nécessaires et touchantes dans leur volontaire dénuement.

Qui ne connaît, n’a lu, ou n’a eu écho du texte de Primo Levi intitulé « Si c’est un homme », « Se isto é um homem », « Se questo è un uomo ». Le titre de l’ouvrage est extrait du poème Shema, écrit sur une plaque commémorative à Livourne, et qui appelle à la transmission, aux générations futures, de la mémoire de l’holocauste. Témoignage autobiographique, essentiel à notre époque de recrudescence en certains pays de mouvements fascistes ou antisémites ou d’extrême-droite, le livre est considéré comme un des plus importants du vingtième siècle. L’auteur se souvient, suscite la mémoire vive de son internement, parle de sa survie dans le camp d’extermination d’Auschwitz, où il fut déporté et détenu de février 1944 jusqu’à la libération du camp en janvier 1945, après avoir été arrêté parce que membre de la résistance italienne au fascisme.

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le Festival d’Almada (Portugal). les articles de Janine Bailly

le Festival d’Almada (Portugal). les articles de Janine Bailly

“Au plus noir de la nuit”: de la lumière à l’ombre

“Au plus noir de la nuit”: de la lumière à l’ombre

 

Au plus noir de la nuit  photo Paul Chéneau

D’André Brink, je garde le souvenir ému d’une soirée au Grand Carbet de Fort-de-France, où il assista en compagnie de la réalisatrice Euzhan Palzy à la projection du film « Une saison blanche et sèche » qu’elle avait, avec l’autorisation de son auteur, adapté du roman éponyme. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud nous revient en plein cœur, sur la scène de Tropiques-Atrium, par la grâce du spectacle « Au plus noir de la nuit » que le metteur en scène Nelson-Rafaell Madel nous apporte, après avoir connu le succès au Théâtre de la Tempête, à Paris. Une représentation en direction des scolaires, deux seulement en direction du public, cela semble hélas bien peu.

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Les Impromptus de treize heures au théatre de Bussang

Les Impromptus de treize heures au théatre de Bussang

 

Le théâtre du peuple de  Bussang, France; septembre 2018,

par Janine Bailly (Madinin-art,  28 août

L’impromptu est un genre théâtral qui se doit d’être spontané et éphémère. L’impromptu est aussi quelque chose que l’on fait « sur le champ, sans préméditation ». Est-ce le hasard seul qui a voulu que se nomment « Impromptus » les manifestations courtes offertes à treize heures, au jour le jour, dont on ne connaît pas par avance le programme et qui se donnent sur le podium à l’ombre des arbres, ou dans la petite salle nommée Salle Camille (en souvenir de l’épouse de Maurice Pottecher créateur du lieu) ? Ou faut-il y voir une connivence avec la troupe de Gwenaël Morin venue de Lyon nous donner Les Molière de Vitez ? On sait aussi de Molière L’impromptu de Versailles, petite comédie qu’il écrivit à la demande pressante du roi, Molière qui dans Les Précieuses Ridicules fait dire à Cathos que « L’impromptu est justement la pierre de touche de l’esprit ». Des Impromptus proposés au début de ce mois d’août, je n’ai pu voir hélas qu’un seul film et assister à une seule rencontre.

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Au Théâtre du Peuple de Bussang: Littoral ou les méandres de Wajdi Mouawad.

Au Théâtre du Peuple de Bussang: Littoral ou les méandres de Wajdi Mouawad.

Wajdi Mouawad, artiste libano-canadien aujourd’hui à la tête du Théâtre de la Colline à Paris, a donné à voir dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes, en 2009 au Festival d’Avignon, les trois premières pièces de sa tétralogie : Littoral (l’eau), Incendies (le feu), Forêts (l’air et la terre). Trois tragédies pour parler de la guerre et de l’exil, de la quête de soi et de ses racines. Du quatrième opus, représenté la même année au Parc des Expositions, le dramaturge dira qu’il vient contredire le propos, Ciels étant « une chose différente… quelque chose qui pourrait affirmer que le passé et les origines ne sont pas nécessaires pour avancer dans la vie »

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