ABC Démolition: La nouvelle oeuvre de Michel Ouellette bénéficie d’une équipe de production superbe!

ABC Démolition: La nouvelle oeuvre de Michel Ouellette bénéficie d’une équipe de production superbe!

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Paul Rainville. Photo Mathieu Girard.

Michel Ouellette, la voix incontournable de la dramaturgie franco-ontarienne (Le Testament du couturier entre autres), est de retour avec un texte qui nous mène sur les sentiers complexes de la psychologie humaine à partir d’une situation presque banale.

Nous sommes à l’intérieur d’une école abandonnée destinée à être démolie. Dans l’obscurité nous apercevons les meubles renversés où seule, dans les décombres d’une salle de classe, une enseignante, une ceinture de dynamite attachée à la taille, barricadée à l’intérieur de l’édifice, se déclare prête à se faire sauter avec l’école. Par ce geste d’auto-immolation, elle veut attirer l’attention sur la déshumanisation du monde, la souffrance qui laisse les gens indifférents, les financiers qui profitent du mal que les êtres humains se font entre eux. Elle est dégoûtée de son existence.

Celui qui est chargé de la démolition, (Paul Rainville) l’observe, et un duo frénétique s’entame entre cette femme et cet homme, récemment de retour au village après une absence de vingt ans. Il essaie de la convaincre de lâcher la ceinture mais elle refuse de bouger.

Peu à peu cependant, la colère de la femme prend la forme d’un jeu de langage secret, où le démolisseur doit proposer spontanément un mot d’après une lettre de l’alphabet prononcée par l’enseignante. Cette rencontre avec la mort devient donc une «  dernière leçon » où la maîtresse d’école exige qu’on l’écoute attentivement et joue son jeu, pour éviter le pire.

Mais les mots ne sont pas innocents. Ceux que l’ouvrier, prononce révèlent les préoccupations les plus surprenantes enfouies dans le passé de ces esprits troubles, surtout lorsque les interlocuteurs se rendent compte qu’ils se connaissaient dans leur jeunesse et qu’ils étaient tous les deux mêlés à une triste histoire de cambriolage où un ami commun était tué. La découverte de ce passé partagé déclenche un nouveau niveau de signification et fait que cet espace menacé de destruction, se transforme en paysage psychique. C’est ici où la pièce, s’ouvre sur événements qui ont laissé des traces douloureuses sur ces deux être et font ressurgir les raisons profondes de leurs gestes.

Des revirements, des souvenirs, des oublis, des explosions de colère et des ondes de tendresse, tout ressort de ce jeu d’alphabète qui fonctionne comme une sorte de magie numérique et ouvre les clefs du passé.

L’enseignante :  « je ne suis plus désirable », ne peut plus accepter son existence de femme solitaire, vieillie, sans enfants. Son cri de désespoir démasque la véritable impulsion de son geste suicidaire et le jeu de Annik Léger est devenu grandiose et majestueux dans ces moments d’aveu splendide. Toute image de « terroriste » délirante s’évapore devant l’inconscient troublé de cette femme qui ne peut plus supporter sa propre existence. L’acteur (Paul Rainville) apporte une énergie physique à cette histoire où la tristesse d’une vie manquée se déclare autrement et au fur et à mesure que les souvenirs bouleversants envahissent la conscience du personnage, Rainville nous montre toute la gamme de ses possibilités émotives, exprimées à partir d’une énergie nerveuse, qui déclenche une force destructrice, la démolition de son propre corps à partir de l’intérieur. Sa présence était très puissante.

La collaboration entre les deux metteurs en scène (Esther Beauchemin et Roch Castonguay) ainsi que l’environnement sonore, ont capté ce mouvement d’âmes avec beaucoup de justesse. Alors que l’enseignante est clouée sur place, le regard fixé vers l’extérieur, l’homme se déplace, glisse derrière les colonnes pour disparaitre dans l’ombre d’un édifice sur le point de s’effondrer.

Le maniement subtile des deux comédiens et le jeu de lumières, ont réussi à creuser les sources insoupçonnées de tout ce que le temps n’a pas réussi à effacer.

Un très beau projet scénique qu’il ne faut pas manquer. ABC Démolition continue jusqu’au 24 novembre, à la Nouvelle Scène.

ABC Démolition de Michel Ouellette

Mise en scène d’Esther Beauchemin et Roch Castonguay

Décor et costumes de Norman Thériault

Environnement sonore Olivier Fairfield.

Éclairage de Guillaume Houët

Distribution : Annik Léger et Paul Rainville.

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